séance / 4

lundi 20 avril 2015 de 17h à 20h
La narration portée par le projet, entre projection, prévision et prédiction

Intervenants :
. Dominique Boullier, 
sociologue, Professeur Sciences Po,
. Thierry Joliveau, géographe Professeur de Géographie à l’Université de Saint-Etienne,
chercheur à l’UMR Environenment-Ville-Société.
. Louise Raguet, élève Ensci/les ateliers studio de création phénOrama.

 

ECOUTER LE SEMINAIRE

 

Ville intelligente, cartographie. Fictions de Thierry Joliveau

Les travaux sur la ville intelligente accordent une place centrale à la carte et aux technologies de l’espace dans la ville à venir. Antoine Picon écrit par exemple que « ce n’est pas tant la forme de la ville qui change que la carte, ou plutôt ses cartes, tant l’avènement du numérique coïncide avec une prolifération de représentations cartographiques du phénomène urbain. C’est au travers de cette prolifération que la ville devient intelligente ». La carte numérique se trouve en effet au cœur des processus de connexion spatiale des différents systèmes techniques qui sont supposés produire l’intelligence du territoire. Mais elle est tout autant à la surface, dans l’interface avec les citoyens, comme moyen d’expression privilégié des individus et de leurs collectifs pour raconter leurs goûts, leurs désirs, leurs émotions, leurs colères, leurs envies dans une ville de plus en plus sensible car pilotée par ses capteurs (« sensors « ).

Il est difficile de distinguer dans ce supposé règne cartographique sur la ville intelligente, ce qui relève de la promesse technologique, du mythe, du délire anticipateur ou de « l’idéal autoréalisateur ». Les sphères à investiguer par la recherche sont multiples : systèmes techniques, salles de supervision, bureaux de conception et de design, services informatiques mais aussi arènes de conflits, aires délaissées sans oublier le flux continu des interactions et des événements qui font la ville. Programme difficile, multiforme et pluridisciplinaire, que de comprendre la réalité et le rôle effectif du dispositif cartographique mis en œuvre dans ce kaléidoscope de protocoles et de situations marqués par une évolutions rapide des techniques et un foisonnement d’usages parfois éphémères.

On fera ici l’hypothèse que l’observation de l’usage de l’expression cartographique dans les œuvres de fiction, en particulier cinématographiques, où l’on constate aussi une prolifération cartographique, peut aider à saisir les formes de mise en action de la carte dans des contextes variés et aider à comprendre la réalité sociale et technique émergente. Ce sera aussi l’occasion de s’interroger sur les correspondances entre la mise en espace de la fiction et la mise en fiction de l’espace que pourrait faciliter l’usage systématiques des technologies géonumériques.

[i] Picon A., 2013, Smart cities: théorie et critique d’un idéal auto-réalisateur, Paris, France, Éditions B2, impr. 2013, 117 p.

A propos de Thierry Joliveau : thierry.joliveau.fr et (E)space et fiction

 

Electronique à crédits de Louise Raguet

Voici un monde où chaque citoyen du monde naît avec un certain nombre de « crédits » pour consommer de l’électronique et électroménager. Ces crédits rendent compte des ressources réelles qui sont nécessaires à la fabrication de tout l’électronique qui nous entoure : minerais rares, travail humain pénible, pollution et gestion des déchets toxiques. Ainsi, chaque citoyen naît avec des « Crédits de Consommation de l’Électronique » qui se divisent en trois catégories :
– sous-crédits Minerais rares,
– sous-crédits Exploitation de l’Homme par l’Homme,
– sous-crédits Pollution

Chaque appareil électronique commercialisé est caractérisé non seulement par son prix en monnaie mais également par son coût en « Crédits de Consommation de l’Électronique » (CCE), qui est une résultante de son coût en « sous-crédits » de chacune des trois catégories mentionnées ci-dessus. Le montant en sous-crédits dépend d’une part du produit en lui-même (contient-il beaucoup de tel ou tel minerais rare ? A-t-il un fort impact sur l’environnement car il est difficile à recycler ou qu’il incite au gaspillage (obsolescence programmée) ? Quelle est la situation sociale des ouvriers qui ont travaillé sur sa fabrication, depuis l’extraction des minerais jusqu’au bout des chaînes d’assemblage ?

Par exemple, un ordinateur portable qui utilise beaucoup d’indium pour sa fabrication aura en un fort coût en CCE. L’indium est un élément chimique de la catégorie des « terres rares ». Son exploitation est difficile et surtout très polluante. Elle est aujourd’hui effectué à 80 % en Chine, principalement dans la ville de Baotou, dont l’environnement (sols, nappes phréatiques) et l’état sanitaire sont ravagés par cette industrie. L’indium est utilisé en autre pour donner les propriétés tactiles à nos écrans. D’autres « terres rares » sont indispensables, entre autre, pour obtenir des couleurs vives sur nos écrans.

Dans un monde où la consommation serait organisée ainsi, il très probable que la production s’organise de façon à ce que ces coûts en CCE baissent : limiter l’utilisation de minerais rares, inventer des nouvelles techniques d’extraction non polluantes, augmenter grandement les filières de recyclage, favoriser la protection sociale de tous les travailleurs, limiter l’achat de minerais issues de zones socio-politiquement instables et contrôlées par des milices (comme c’est le cas aujourd’hui au Congo). Enfin, c’est aussi la consommation individuelle qui baisserait.

Chaque citoyen garde cependant la liberté d’obtenir davantage de CCE, s’il souhaite consommer plus que ce qui lui est parmi par les crédits octroyés à sa naissance. Il doit pour cela effectuer des actions qui viennent « rectifier » les dommages sociaux ou environnement causés par cette industrie, comme par exemple aller soi-même travailler dans les carrières d’exploitation des minerais au Congo, faire un don à une ONG qui travaille sur la dépollution ou l’amélioration des conditions de travail des ouvriers. Dans chaque cas, il est possible de récupérer un certain nombre de « sous-crédits » correspondant à l’action qui est effectuée.

Ainsi, dans ce monde, l’argent ne permet pas tout, ne suffit pas à consommer (et polluer!) autant qu’on le souhaite. Certes, on peut indirectement acheter des crédits, en payant des ONG pour financement l’aide sanitaire ou la dépollution, mais ce fonctionnement implique une réelle prise de conscience des conséquences de notre consommation effrénée.

Les éléments réalisés pour l’exposition Phénorama, illustrent quelques aspects de ce monde. Assaillie dans le métro par les gigantesques publicités pour les téléphones ou ordinateurs, qui me ramène chaque matin à la consommation déraissonnée qu’incite notre société, je me suis mise spontanément à réinventer ces publicités dans ce monde fictif. Par exemple, certaines marquent se venteraient peut-être de ne pas utiliser la technologie dernier-cri (et coûteuses en ressources), mais plutôt des produits techniquement assez simples, sans fonctions « gadget ». J’ai également imaginé l’émergence d’agences spécialisées dans la récupération de crédits, notamment des agences semblables à nos agences de voyages qui nous permettent d’effectuer des « stages » dans les mines ou les usines, pour récupérer des CCE Exploitation de l’Homme par l’Homme.

 

 

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