PROJET « ANOMIES »
Résidence Audrey Cottin / Raphaële Jeune
Phénorama automne 2012 / ENSCI
Le laboratoire Phénorama de l’ENSCI, inscrit dans le LABEX Création, Art, Patrimoine, a invité
Audrey Cottin et Raphaële Jeune pour sa première session de résidence trimestrielle, du 8 octobre
2012 au 7 janvier 2013.
La résidence d’Audrey Cottin et Raphaële Jeune, sous le titre « Anomies », consistera à
développer des lignes de recherches communes, curatoriales et théoriques pour la première, de
création artistique pour la seconde, autour de la notion d’anomie, dans le contexte d’un triple
questionnement :
– le processus créatif
– les relations entre l’art et l’industrie
– les formes collectives
CHAMPS DE RECHERCHE DES RESIDENTES
Audrey Cottin, artiste
Audrey Cottin, artiste française vivant à Bruxelles, développe un travail qui repose sur la
performance et la collaboration comme forme plastique. Elle intervient dans ce qu’elle nomme des
biotopes, des situations qu’elle choisit ou dans lesquelles elle est conviée, et invite des personnes
dans une construction collective dont le processus créatif, avec tous ses aléas, fait l’œuvre.
Les formes qu’elle produit le sont donc collectivement, et la qualité d’auteur est partagée par les
personnes impliquées.
Ne produisant pas d’objet destiné à une exposition ultérieure, la démarche d’Audrey Cottin repose
sur le devenir de la forme, se situant dans la lignée de l’art événementiel. Elle s’intéresse a ce qui
advient dans la rencontre et la forme obtenue n’est jamais cadrée à l’avance.
Raphaële Jeune, doctorante
Commissaire d’exposition et doctorante à l’Université Rennes 2, Raphaële Jeune axe sa recherche sur
les formes de l’événement dans l’art à l’ère des industries créatives. Elle s’intéresse aux démarches
artistiques et curatoriales qui reposent sur une dynamique événementielle au sens philosophique
du terme : surgissement de l’imprévu, prise de forme et de sens dans l’instant présent, disponibilité
à ce qui advient, etc. Sont concernées les formes de la performance mais aussi des œuvres d’autres
registres (installation, sculptures, processus, dispositifs) qui recourent à l’événement ainsi entendu.
PROJET DE RECHERCHE COMMUN : « ANOMIES »
Audrey Cottin et Raphaële Jeune ont choisi de travailler sur la notion d’anomie qu’elles partagent
dans leurs préoccupations. L’anomie est le caractère de ce qui n’a pas de loi, n’est pas nommé.
L’anomie, dans son sens positif, inspiré par le philosophe Jean-Marie Guyau (1834-1888), est
« créatrice de formes nouvelles de relations humaines, d’autonomies qui ne sont pas celles d’une
référence à des normes constituées mais ouvertes sur une créativité possible (…), elle incite l’individu
à des sociabilités jusque-là inconnues ».
> Pour Audrey Cottin, l’anomie caractérise le mode d’ouverture dans lequel la forme prend corps,
son devenir. Elle ne connaît jamais par avance non seulement les contours de cette forme, mais aussi
ses composantes, son rythme, sa temporalité, son ampleur spatiale. Audrey Cottin attache beaucoup
d’importance au collectif, aux relations qui s’instaurent et évoluent dans un groupe, entraînant
des mutations dans la pensée et les sensations de chacun vis à vis des autres et d’eux-même. Dans
son travail, la forme collective s’avère anomiques dans le sens où les relations qui se tissent ne
répondent à aucune norme prétablie et où elle s’invente au fur et à mesure de son apparition, ce
processus temporel étant homothétique avec le temps de l’œuvre.
> Pour Raphaële Jeune, l’anomie est au fondement de l’événement, car ce qui advient n’est jamais
nommé, n’est jamais connu par avance. Ce qui vient, nous l’ignorons. L’anomie est une notion qui,
selon elle, permet d’aller plus loin dans la compréhension de la place de l’art aujourd’hui par rapport
à l’industrie et à l’économie.
> Pour l’ENSCI, l’anomie est une notion reliée à l’invention de ce qui n’existe pas encore, de ce qui
n’est pas encore nommé. La création industrielle entretient un rapport crucial à l’avenir, qu’il s’agit
tout autant d’anticiper que de créer. Avec l’absence de déterminant qu’elle suppose, l’anomie
pourrait ouvrir un champ de possibilités inouïes, voire même d’impossibilités, c’est à dire de choses,
de faits, à venir, mais que l’on ne peut même pas envisager aujourdhui. Comme pour Audrey Cottin,
l’anomie peut être rapprochée de la dimension collective, la création industrielle étant le fruit de
l’intelligence collective et de process de production engageant de nombreuses compétences diverses
et complémentaires et les produits de la création industrielles s’adressant parfois à des groupes
sociaux.
L’anomie peut-être mise en regard de deux autres notions qui la cernent : l’autonomie et
l’hétéronomie. L’autonomie est la qualité de ce qui n’obéit qu’à sa propre loi, et l’hétéronomie
caractérise ce qui subit la loi du milieu environnant.
Nous nous proposons de partir de cette trilogie pour explorer plus avant les conditions d’existence
des choses entre art et industrie :
– traditionnellement, on dit que l’œuvre d’art est autonome, qu’elle ne répond qu’à sa propre loi,
que cela signifie-t-il ? Son retrait dans un espace blanc prétendument neutre en est-il le symtôme ?
Qu’en est-il des œuvres contextuelles ?
– l’objet utilitaire, industriel, répond à un besoin qui lui donne sa forme et son fonctionnement, est-il
pour autant hétéronome ? L’objet utilitaire peut-il contenir une part d’autonomie ?
– l’anomie caractériserait l’absence de loi, il n’y aurait ni la loi en propre, ni celle du milieu. Ne
pourrait-elle fournir un régime intermédiaire, ou une ouverture vers un champ où rien n’est
prédéfini ? Ou l’on observerait les choses dans leur processus d’apparition sans tenter de les définir
selon des règles préexistantes.
STRUCTURE DE NOTRE INTERVENTION À PHÉNORAMA
Notre projet « Anomie » se déroulera en trois temps:
– un temps pédagogique à l’ENSCI : interventions auprès des étudiants du studio Arts Plastiques
(octobre à décembre)
– un temps artistique au Centre Pompidou : performance proposées dans les espaces du Centre avec
la complicité des post-doctorants du Labex, en janvier ou février
– Un temps scientifique à l’INHA : une conférence de clôture de la résidence permettra d’en établir le
bilan avec l’aide, si possible, d’un ou de deux personnes extérieures.
1/ Temps pédagogique / ENSCI / 8/10/12-07/01/13
Nous proposons aux élèves de réfléchir sur la triade anomie/autonomie/hétéronomie par rapport
au processus créatif entre l’art et la création industrielle. Cet atelier alliera la mise en place d’une
réflexion théorique sur ces notions à la production d’un travail pratique dont le résultat sera
présenté dans l’exposition de clôture en janvier dans le hall de l’école.
Quelques pistes de travail :
– créer un objet/processus en spéculant sur la dualité autonomie / hétéronomie.
– partir d’une chose existante (objet, procédure) et déconstruire sa causalité, sa raison d’être jusqu’à
épuisement… produire une forme issue de cette déconstruction.
– prendre une chose utilitaire et la penser comme une œuvre, voir quelles conséquences cela a dans
la relation entretenue avec la chose (quelques retours sur des faits d’histoire de l’art, cf Marcel
Duchamp, Joseph Kosuth, Pieter Engels).
– Quelle anomie peut naître du processus organique de confrontation collective ? Quelles altérations
des conceptions de chacun par les autres pour quelles dynamiques d’invention (invention de
l’impossible, de l’imprévisible, etc.).
Certains auteurs ayant abordé ces notions offriront une boîte à outil à exploiter : Jacques Rancière,
Emmanuel Kant, Jean-Marie Guyau, Jean Duvignaud.
2/ Temps artistique / Centre Pompidou / Date à définir, entre janvier et février
Pour réaliser une performance le temps d’une soirée, Audrey Cottin souhaite, en collaboration
avec Raphaële Jeune, solliciter la participatio active des post-doctorants du Labex Création, Art,
Patrimoine, qui seront en contrat en 2013. Il s’agira de proposer à ces chercheurs d’élaborer une
forme collective in situ, dans les espaces du centre pompidou, le temps d’une soirée, en mettant en
jeu leur champ de recherche respectif dans l’environnement du centre, dans le contexte du labex
(enjeux, stratégie, structuration) et en lien avec les recherches des autres chercheurs (mutualisation
des savoirs, ponts entre les thématiques, confrontations, sauts géographiques et historiques, etc.).
Cette démarche explorera une manière alternative de créer de la transversalité entre des champs du
savoir qui restent parfois éloignés les uns des autres, et dont le frottement peut générer de l’inouï.
Par exemple, si l’on prend deux thématiques de recherches de post-doctorants de l’année
précédente :
Hélène Fleckinger, histoire du cinéma, Contribution à une histoire de la vidéo des premiers temps en
France (1968-1981) : pratiques militantes et expérimentations formelles Paris 1 (recrutée MCFà P8,
septembre 2012)
et
Hadji Malick Ndiaye, histoire de l’art, Mémoires de l’objet dans l’espace muséal : patrimoines de
l’esclavage et création artistique contemporaine
Quelle forme d’interprétation libre peut émerger de leur croisement, quels mots, quels concepts,
quelles images ?
La forme, le lieu, les participants, leurs actions se définiront au fur et à mesure du processus de
travail jusqu’à la fin de l’action. Nous souhaitons les amener à travailler avec nous sur la « mise en
scène » de leur participation. Ils pourront être amenés à être eux-mêmes performeurs.
3/ Temps scientifique / INHA / Date à définir en janvier ou février (après date Centre Pompidou)
Une conférence réunissant le binôme Audrey Cottin/Raphaële Jeune, certains des postdoctorants
ayant participé au projet 2, et si possible un ou deux invités extérieurs au Labex (invitées à apporter
leur analyse de l’expérience, par ex. Boyan Manchev, Alexandre Costanzo), permettra de revenir
sur les différents temps et aspects des pistes déployées pendant la résidence et d’en analyser les
résultats.