Une école « Ateliers » qui en a pris le nom
La fondation de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) en 1982 est une tentative de modification de l’approche française centrée sur la pensée abstraite et rationnelle où « l’objet rarement nommé, jamais touché semble être défini comme l’ultime aboutissement d’une démarche linéaire nécessaire, procède de la seule rationalité déductive qui va de la loi scientifique à ses applications ». (1)
Au-delà du simple rapport entre Art et Industrie, notre école qui se nomme « ENSCI-Les Ateliers » a été imaginée pour répondre à ces enjeux : créer une culture de l’objet industriel et en penser les processus fonctionnels, esthétiques et sociaux.
L’école, qui fêtera bientôt ses trente ans, est donc un espace de pratique, mais aussi un espace de pensée, de conversation et de démonstration. Elle renoue avec une tradition française, celle de l’atelier, du salon et du cabinet d’objets. Cet aménagement particulier lui a donné son nom : « Les Ateliers »
L’ENSCI-Les Ateliers répond à un double objectif: d’une part, valoriser la culture générale, scientifique et technique pour proposer des « objets industriels » esthétiques, singuliers, adéquats, désirables et durables ; et d’autre part, modifier les modèles culturels de création et de production de ces objets par une formation et une éducation nouvelle orientées vers les enjeux de société.
Les créateurs industriels que nous formons possèdent des profils de capteurs, de médiateurs, et de révélateurs d’un monde en constante mutation.
L’ingénieur Jean Prouvé, parrain de l’école, à la fois entrepreneur, constructeur, théoricien, praticien et parrain de l’école, a inspiré ces multiples approches.
L’ENSCI, dans son organisation, ses missions, son histoire et ses projets est un atelier de pensée et de pratique qui s’inscrit, participe et contribue à l’histoire du design et à la dynamique des FabLabs, dont elle possède une solide expérience.
L’« atelier » comme nouveau « salon »
Un lieu où naissent et se développent les projets
A l’ENSCI, les ateliers sont des lieux de fabrication et de prototypage, mais également des espaces de conception, de création et d’échanges.
La fabrication, désormais assistée par le numérique, a fait apparaître de nouveaux processus de production intégrant des outils logiciels, des imprimantes 3D et autres machines de prototypage rapide qui ont transformé les pratiques du prototype, du travail à façon et de l’industrie.
Les nouveaux outils assistés par le numérique élargissent et changent l’équipement, mais aussi les objectifs des ateliers tels que nous les connaissions au XIXème et XXème siècles.
La diffusion et les progrès de ces technologies permettent désormais une utilisation démocratique de ces outils par des acteurs connus (designers, architectes, ingénieurs, artisans), par de nouvelles entreprises, mais aussi par de nouveaux acteurs issus de la société actuelle (amateurs, hackers, bricoleurs, et développeurs informatiques). Dans la boucle, les destinataires de ces objets peuvent également contribuer aux propositions qui leur sont faites.
Cet être ensemble, en réseau, forme les acteurs de ce que Bernard Stiegler nomme le « Nouveau monde industriel ». (2)
Le numérique, moteur d’un changement d’âge économique, philosophique et social bouleverse l’objet, le sujet et la nature de ce qu’il est possible de produire dans « Les ateliers ». Le matériau numérique investit désormais les ateliers du XXI siècle.
C’est pour cette raison que les nouvelles matières, les nouveaux processus et procédés, mais aussi l’électronique, l’informatique, la chimie et la biologie font partie intégrante de ces ateliers, autant comme moyens que comme objectifs de projets.
L’objectif de ces nouveaux ateliers et des démarches de création industrielle, consiste à s’éloigner de la production d’objets connus pour s’atteler à inventer des nouvelles situations et les nouveaux objets/services du XXIe siècle : les NéoObjets (objet programmable, objet imprimable / téléchargeable, spime (3), objet à terminer, objet transformable, objet durable, etc.).
« Les Ateliers » constitue un lieu de projet et de prototype, en cela il est aussi un lieu des pensées émergentes sociales, esthétiques, scientifiques et techniques qui incarnent des situations nouvelles dans des objets, systèmes, services, logiciels et médias.
Il tire sa richesse de la diversité des êtres qui le fréquentent et le pratiquent, plutôt que des machines qui l’équipent.
C’est donc une fabrique de pensée où l’on conçoit, crée, dialogue avec des expertises pluridisciplinaires, mais également un lieu dans lequel on représente, forme et propose. Il ne sépare pas le pourquoi du comment, la conception de l’exécution. L’atelier s’éloigne de la fiction et de la communication spéculative, en cela il est dans le réel.
« Les Ateliers », à l’ENSCI, est bien un lieu d’échanges, de création, d’expérimentation, de reconstruction, de modélisation tant théorique que pratique. L’endroit où naissent les « propositions » et les « choses ».
Le « salon » comme nouvel « atelier »
Un lieu où naissent les idées
« Les Ateliers » du XXIème siècle est une proposition de réponse aux défis qui s’annoncent. C’est un véritable changement d’âge : ère numérique, économie de la connaissance et crises successives (politiques, économiques, sociales, morales, éducatives). En cela, ils s’inscrivent dans la figure de la renaissance et des salons des lumières. Il propose pour une nouvelle forme de production d’intelligence nécessaire à l’équilibre de notre culture.
Ce « salon-atelier » est un espace physique collectif de rencontres, d’échanges, de propositions et de convergences avec la recherche, la science, le design, l’art, l’ingénierie, les sciences de gestion, les sciences humaines et sociales… Il élargit et redéfinit l’univers du laboratoire en l’ouvrant à d’autres modèles et à l’innovation. Il est organisé autour du progrès social, des nouveaux modes de production et des économies locales. Il s’agit d’un mode d’organisation ouvert, agile (4), ascendant, modifiant l’organisation hiérarchique d’hier et libérant la créativité de tout un chacun. Ce modèle accélère les processus de propositions, fait émerger les talents et les énergies.
C’est un lieu de pensée et d’action qui interpelle les conditions de production des connaissances (universités, laboratoires, écoles, entreprises, collectivités territoriales) comme les rapports sociaux.
« Les Ateliers » met la pratique et la démarche expérimentale, utilisées par le design, au cœur de l’apprentissage et de la production de connaissance et d’innovations.
« Les Ateliers » propose un nouvel espace de projet pour le XXIème siècle qui conjugue connaissance, savoir, processus, savoir-faire dans un mode pratique. Le prototype et le démonstrateur sont ses moyens d’expression.
Ses acteurs possèdent des profils variés permettant des approches pluridisciplinaires et relevant de la culture de la sérendipidité et des découvertes (amateur, bricoleur, ou apprenant).
Ce lieu, où l’on pense et où l’on fait, rééquilibre les caractéristiques abstraites de notre culture, de notre système éducatif et de notre société. Le « salon ateliers » réunit les antagonismes ou les dialectiques de l’art et de l’industrie, de la science et du progrès, de la technique et de l’anthropologie, de la conception et de la fabrication qui, dans un monde complexe, ne devraient plus être opposés, mais cohabiter dans un même espace d’invention collective.
Le design est au centre de cette pensée active et expérimentale. Il introduit les pratiques, inductive et intégrative, des savoirs faire techniques et artistiques et des concepts théoriques et scientifiques.
La forme des dispositifs et des productions est un enjeu majeur et central pour proposer des représentations, formes, symboles, usages, adoptions et désirs, intelligence et esthétique.
« Les Ateliers », par son modèle, permet d’élargir la culture de l’analyse et de la synthèse cartésienne à l’approche d’analyse sensible et de synthèse créative du design.
Savoir penser – savoir-faire – savoir faire faire – savoir-faire ensemble – et faire pour comprendre sont les points clés de la démarche du design que nous pouvons apporter à ces nouveaux salons ateliers. Ils sont une opportunité pour « enfin » intégrer le potentiel du design dans « la culture française ».
Un « cabinet d’objets », ouvert et participatif
Un lieu où se fabrique la transdisciplinarité
« Les Ateliers » s’expose et expose. C’est l’espace collectif de l’imaginaire et des possibles, dans lequel on peut voir les processus en train de se faire, un lieu où l’on apprend et on échange, un lieu ou l’on écoute et on contribue. Et on sait que mettre en lumière les choses en train de se faire favorise les vocations, les transformations, les échanges et les propositions.
Les dimensions intégrative, politique, éducative, innovante, économique, sociale, technologique et scientifique de l’atelier en sont l’enjeu principal.
Rêver, proposer, faire, transformer, avancer, représenter et partager sont les objectifs majeurs de nos projets.
Dans notre monde abstrait où il est difficile de construire des offres adéquates et de désencombrer notre hyperconnaissance, il faut « faire place ».
« Les Ateliers » du XXIème siècle est un espace de propositions transdisciplinaires s’appuyant sur les fondamentaux de notre humanité.
Jean-Louis Frechin.
(1) Jean-Louis Monzat de Saint-Julien, premier directeur de l’ENSCI – Les Ateliers
(2) « Les entretiens du nouveau monde industriel » est une manifestation annuelle co-organisée par le Centre Pompidou / I.R.I., le pôle de compétitivité Cap Digital et l’ENSCI. Sa prochaine édition (19, 20 et 21 décembre 2011 à Beaubourg) aura pour thème « Les technologies de la confiance ».
(3) Selon Bruce Sterling, un « spime » est un objet qui est issu d’un ordinateur, est repérable dans l’espace et possède une mémoire de son histoire
(4) Méthode de conduite de projet, initiée au début des années 90 aux Etats-Unis, qui valorise des méthodes rapides de développement informatique et met en avant l’être humain et les usages.