Partie III. LES FREINS ET LES LIMITES À L’ÉMERGENCE DE CES TYPES DE RÉSEAUX

Comme nous venons de le voir en deuxième partie de cette étude, il existe une réelle appropriation des réseaux, une dynamique « par le bas » qui touche un public de plus en plus varié et qui tend à s’élargir à de nombreux domaines de publication. Mais comme nous l’ont montré les articles de ou encore comme nous l’avons évoqué dans l’article sur , il persiste un certain nombre de freins à ces initiatives personnelles. Observons les facteurs qui contraignent ces mouvements: ils sont au nombre de trois, il s’agit de l’accès, de l’économie et de la règlementation et la sécurité.

Nous allons dans un premier temps nous intéresser à la fracture numérique, évoquée dans l’article sur le ReseauCitoyen. On s’aperçoit que l’accès aux TIC se fait de manière inégale d’un endroit à l’autre du territoire. On constate que les pôles urbains et les zones de fort transit (croisements de réseaux ou hubs) sont beaucoup mieux desservis que les régions rurales, et que l’infrastructure du réseau y est mieux développée et plus performante. Ainsi les personnes résidant dans ces hauts lieux de la communication ont beaucoup plus de facilités à accéder à Internet et aux NTIC, de manière plus générale. Cette question de répartition inégale de l’infrastructure lourde des réseaux est directement liée au facteur économique. En effet, l’investissement du territoire repose sur des stratégies économiques par rapport aux futurs acteurs du réseau. Ainsi, les régions peu peuplées se voient exclues de la carte des réseaux, parce qu’investir des budgets pour les desservir n’est pas assez rentable (trop peu d’utilisateurs par rapport au coût de l’installation). Dans ce genre de cas, les acteurs locaux jouent un rôle importants, que ce soient les mairies des communes concernées ou que ce soient les entreprises implantées là. Généralement, ce sont elles qui font le plus pression et finissent par aider financièrement l’installation du réseau dans les « non-lieux de la communication », parce que la présence des TIC est nécessaire à l’économie (rapidité des échanges) – on voit après des phénomènes inattendus (mais prévisibles) se produire, des agriculteurs connectés à tous les autres agriculteurs de la région, etc.

« Les inégalités dans les usages et les pratiques sont à la fois sociales, culturelles et territoriales, et s’expriment en termes d’accès aux réseaux et aux services, et en répartition des budgets et des temps consacrés aux différentes activités. » Pierre Musso-Introduction Les territoires aménagés par les réseaux.La question d’accès est plus complexe que la simple répartition de l’infrastructure du réseau sur le territoire. En effet, elle concerne également la personne même qui va se connecter au réseau. Il existe certes des difficultés matérielles d’accès (présence d’infrastructures, coût du matériel…), cependant on peut également observer une certaine difficulté culturelle. Les modes de vie urbains, la mobilité, la rapidité, etc. sont des notions intégrées par le citadin qui se connecte de manière naturelle et à force quasi innée pour effectuer des usages quotidiens sur le Net (je pense à la consultation de mails par exemple) Conservons cet exemple: pour la personne résidant dans un lieu non desservi par le réseau Internet (il ne s’agit pas forcément de la campagne, mais il peut également s’agir de petites communes du centre de la France), quelle va être l’utilité (et le besoin) d’une connexion au web pour consulter son courrier, si elle en reçoit déjà dans sa boîte à lettres tous les jours et que ça fonctionne très bien, depuis longtemps? Bien évidemment, il peut s’agir d’autres usages encore. L’adaptation à l’outil informatique dépend d’autres facteurs, tels que l’âge, l’éducation, la profession, le besoin, etc.

Par ailleurs, il existe aussi un autre frein qui est le travail d’apprentissage face à ces nouveaux outils. En effet, comme nous l’avons précisé en première partie, l’image d’Internet est par essence liée à l’image de l’informaticien devant son ordinateur relié à un réseau de personnes semblables. Ainsi, pour la plupart des gens, l’utilisateur d’Internet et des ordinateurs est à la fois quelqu’un qui se connecte au reste du monde, et quelqu’un qui bricole sa machine. Cette image reste véridique mais comme nous l’avons vu en deuxième partie, Internet tend à se démocratiser: il ne faut plus être informaticien ou technicien pour créer un réseau et l’administrer. Reste-t-il maintenant à convaincre le grand public à franchir le pas. Je pense qu’il faut pour beaucoup compter sur le bouche à oreille pour cela. L’important est de montrer aux gens, leur expliquer de manière simple comment ça marche pour éviter les refus et les rejets.

Outre la question d’accès, la question économique et financière est le deuxième grand frein à l’initiative privée. Comme nous l’avons vu dans les articles suivants, et , le succès des initiatives personnelles et de la connexion de plus en plus multiple du grand public engendre un certain opportunisme économique. Ainsi, certaines entreprises détournent par exemple la production de certains réseaux de particuliers; ou d’autres en profitent pour inventer une nouvelle économie basée sur l’émergence d’un nouveau marché. Ce phénomène est compréhensible vu l’expansion des usages de l’Internet, un domaine si fertile.

Avant de conclure, il est également important de s’intéresser dans cette partie aux problèmes de réglementation et de sécurité. En effet, tout connecté est à la merci des administrateurs de réseaux et/ou des fournisseurs d’accès. Car celui qui contrôle l’épine dorsale du réseau, contrôle chaque échange, filtre les données du réseau, etc. Cependant l’infrastructure d’Internet étant si vaste, le controle est quasiment impossible, et il n’y a pas d’autorité sur l’info qui circule. C’est pourquoi, on assiste à un retour des gouvernements sur l’adressage, sur la régulation et le contenu, sur les aspects fiscaux et douaniers (jusqu’alors, l’anonymat de l’individu connecté au réseau a permis l’émergence du piratage, de l’infiltration, etc.) On peut également se pencher, à titre d’exemple, sur le projet de deux américains (Marjory S. Blumenthal, directrice au Conseil de la Recherche américaine et David D.Clarck, chercheur au MIT). Il s’agit de l’élaboration d’un système qui permettrait d’identifier la nature de l’information circulant sur le web et de ses acteurs. Cela servirait ainsi à « contrer les attaques de pirates, débusquer les délinquants, assurer l’identification des parties lors d’une transaction financière… les motivations peuvent sembler louables » (source: Sciences&Vie – dec 2002). Mais on peut se demander si l’intégration de ce système au réseau ne viendrait pas briser l’une des forces du réseau qui est justement l’anonymat (et qui permet bien souvent l’émergence d’initiatives personnelles)?

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