Le moment contemporain : L’innovation dans le capitalisme contemporain et son design

par Yann Moulier Boutang

Yann Moulier Boutang : professeur de sciences économiques. Directeur adjoint du Costech. Université de Technologie de Compiègne.
Costech : Connaissance, organisation, systèmes techniques
Enseigne également l’économie, l’économie politique, la culture générale et l’économie numérique, droits de propriété
A fondé en 2000 la revue Multitude
Livres : L’abeille et l’économiste (2010), Le capitalisme cognitif

INTRODUCTION

Article : la revanche des externalités (Multitude)

http://multitudes.samizdat.net/La-revanche-des-externalites

Introduction : pourquoi l’innovation est devenue le cœur de la valeur et comment le design a changé ?

La créativité et l’innovation sont devenues la tarte à la crème du management. Injonction à la création, à inventer son propre métier : c’est absorbant, écrasant, avec des formes de responsabilité mal balisées. Le design se trouve à l’honneur car c’est à la faveur d’un phénomène : nombre croissant d’innovations. L’innovation contraint à renouveler des produits. Artisanat : forme assez stable qui varie peu (bol, cruche) explore des formes qui bougent peu et qui sont éprouvées. Logique industriel : stratégie de différenciation, changer le produit en permanence. La course à l’innovation est due à une aggravation de la concurrence. Egalement, incorporation de connaissances dans les produits et procédés.

La vogue de l’art dans l’industrie :

L’industriel : manque d’intérêt pour l’art. Introduit des éléments qui appartient à l’art dans l’industrie : dans l’image, dans les produits, dans la gestion (incorporation à tous les niveaux). Forger la nouvelle culture industrielle.

Andréa Branzi : Le design est une activité liée à une pensée (du) complexe. Le design se rattache à l’art plutôt qu’à l’industrie. L’industrie = pensée du compliqué, pas du complexe. Il fut un temps ou l’on considérait que l’art générait de nouveaux langages tandis que le design les utilisait. Aujourd’hui nous assistons au phénomène inverse.

Le design exige à la fois d’être ni dans le pur produit industriel ni dans le pure décoratif.  Design = art appliqué ? Autrefois oui. Aujourd’hui, c’est dans le design que se forme les nouveaux langages. Interpénétration profonde de l’art et de l’industrie. Quelle est sa nature ? Elle est nouvelle.

Toujours Andréa Branzi (La casa Calda 1985): Le designer est un inventeur de scenarios et de stratégies. Ainsi, le projet doit s’exercer sur les territoires de l’imaginaire, créer de nouveaux récits, de nouvelles fictions, qui viendront augmenter l’épaisseur du réel.

Epaisseur du réel : réalité augmentée (retour tactile de visuel pour les aveugles par exemple, amplification des sensations pour rendre perceptible les choses pour des personnes handicapées). Designer : augmente le champ de perception des gens. Il amplifie une fonction de l’objet, rend les choses appréhendables de manière plus directe.

Aujourd’hui le designer est sorti de son statut de concepteur d’objet. La discipline s’est élargie (notion de scénario qui avant était propre à d’autres métiers).

Pensée dynamique de l’interaction : interaction entre l’objet et l’usage (le scenario). L’objet et son appropriation par l’utilisateur (qui n’est pas inerte : il détourne l’objet et son usage).

Importation totale de la métaphore littéraire par Branzi.

CAPITALISME COGNITIF

Le capitalisme cognitif : les externalités. Le continent de la pollinisation.

Les externalités : extérieur à la sphère marchande. Lié au fait que tout flux de biens et de services connaît un contre flux d’espèces monétaires.

Le Chrysanthème et le sabre (Ruth Bénédicte) Il y a des flux et des contre flux.

Le dommage lié à un flux peut apparaître que beaucoup plus tard.

Transaction = toute forme d’échange, de coopération, de flux de connaissances ou d’informations.

Ronald Coase (The Nature of the Firm). Economiste : il a décrit se qui se passe quand les éleveurs du middle ouest envoyaient du bétail aux abattoirs de Chicago (prix Nobel pour ses articles). Feu sur plusieurs hectares (impact sur les bisons, détruit de champs de blé, impact sur l’agriculture). Externalité négative.

Il y a plusieurs schémas d’externalités possibles. L’externalité négative peut s’accompagner d’externalités positives.

Une même transaction peut avoir des impacts positifs et négatifs et aboutir à un système complexe d’externalités.

Valeur marchande des produits vs Externalité. Externalités capturées considérées comme des actifs immatériels.

Elles sont déterminantes, les 2/3 des transactions sont liées aux externalités : L’iceberg des externalités.

Valeur marchande du produit

Valeur de la marque

Externalités

Valeur de la marque incorpore fortement des éléments qui sont des externalités. Alors qu’il n’y a pas de transaction marchande (de type échange de biens et de services) qui corresponde, il y a une capture des externalités par la valeur de la marque.

Il y a des externalités qui pèsent plus que d’autres sur la décision d’achat (santé vs les goûts et les couleurs).

Les externalités de type 1 : celles qui ne sont pas dans le marché mais dont on peut déterminer leur prix (exemple : la lumière du phare, ce service qui est donner à tous les bateaux, coûte un prix connu). Financer car on ne souhaite pas qu’il y ait de  dégât lié à la collision de bateaux. C’est quelque chose que l’on ne peut pas faire payer…car très compliqué à mettre en place (type péage pour bateau). Externalités qui sont de biens publics qu’on doit produire car utilité très forte >> on se sert des impôts pour le faire payer. Exemple également de l’éducation. Le couts sont calculables bien que ces externalités ne soient pas dans la zone marchande.

Externalité de type 2 : par exemple, l’air qu’on respire.

Colonie Collapse Disease CCD : Syndrome d’effondrement des ruches aux Etats-Unis. C’est un phénomène mondial. Les abeilles pollinisent 80% des fruits et légumes que nous mangeons.

Aujourd’hui la production de miel devient complètement anecdotique par rapport aux impacts liés à la pollinisation.

Disparition des abeilles,  Einstein aurait dit : « Si les abeilles disparaissent de la surface de la terre les humains en ont pour 5 ans de survie ».

Syndrome d’effondrement des ruches : on a alors commencé à se préoccuper du rôle économique des abeilles

Activité des abeilles :

Pollinisation « Outcome » :

  • Nature sauvage
  • Agro production (80% de la récolte des fruits et légumes)

4,33% de la production agricole mondiale dépend de la pollinisation. Plusieurs milliards de dollars.

Production de miel seulement 1 milliard de $US…

Une partie des externalités liées à la pollinisation est captée aujourd’hui.

LA PUISSANCE DU NUMERIQUE

Mutation équivalent à la mutation de l’imprimerie avec Gutenberg.

Révolution des NTIC = révolution continue. Commence avec la machine de Turing

« Une machine de Turing est un modèle abstrait du fonctionnement des appareils mécaniques de calcul, tel un ordinateur et sa mémoire, créé par Alan Turing en vue de donner une définition précise au concept d’algorithme ou « procédure mécanique ». Ce modèle est toujours largement utilisé en informatique théorique, en particulier pour résoudre les problèmes de complexité algorithmique et de calculabilité. On lui adjoint pour cela un oracle. » Wikipédia

Cela a donné l’ancêtre de la machine à calculer.

Puis très gros ordinateur dans les années 50 et 60.

IBM renonce au brevet de l’ordinateur portable.

Utilisation du calcul binaire. Son et image = 0 et 1 qui permet une interconnexion que ne permet pas l’analogique.

Aujourd’hui : révolution avec les supraconducteurs pour la transmission de données et la fibre optique. Acheminement des données avec un coût qui s’affaibli. Révolution des NTIC va entrainer des changements colossaux dans le traitement du compliqué, de la vitesse de résolution des équations simultanées (par exemple impact sur la météo).

Autre révolution : celle de l’internet. Réseau 2 milliards d’utilisateur. Réseaux sociaux 500 millions d’utilisateurs de Facebook.

Les NTIC ça n’est pas fini. On va réussir à stocker des informations dans des structures à l’échelle infra-atomique (quasiment l’échelle des interconnexions neuronales dans le cerveau).

TIC appropriation par un grand nombre.

Immatérialisation croissante :
Du produit vers le moyen de produire le produit (biens et service)

Du produit au procédé de production

Du procédé de production au moyen de produire les procédés

Des procédés aux procédures

Des procédures au moyen de les produire

Des procédures/programmes à l’intelligence à l’activité apprenante et connaîssante

Immatériel 1 : connaissances codifiées sur lesquelles ont peut émettre des droits de propriété industrielle.

Immatériel 2 : non codifiés ou non codifiables, ils sont liés à la contextualisation et à l’apprentissage. Ce ne sont pas des biens matériels.

Bien matériel, aux caractéristiques naturels qui permettent de le marchandiser : divisible (on peut diviser le café en dose pour le vendre, on ne peut pas vendre une émission de radio car tout le monde peut écouter la radio en achetant une radio) ; ils sont excluables (moi et pas les autres) droit de propriété qui permet d’exercer un usage sur le produit.

Bien immatériel : création littéraire, connaissance ou un dessin, n’importe qui peut le voir ou le copier donc problème à la marchandisation (le roi pensionne Molière à l’époque). Si œuvre très singulière et difficile à réaliser pas de problème de copie. Mais avec les technologies de reproduction (imprimerie par exemple) cela a des conséquences considérables. Exemple avec la reproduction de bibles. Ceux qui détenaient la bible comme un secret ou secret partiel (les membres du clergé). 1 moine produisait l’équivalent de 5 bibles dans sa vie. Déclassement considérable de ceux qui distribuaient la bible…et qui détenaient le monopole. On invente progressivement un système ; à chaque fois qu’il y a de la reproduction on donne à l’auteur un partie de la vente marchande (cela arrive avec l’ancien régime). On aboutit au brevet, droit d’auteur, PI. Monopole artificiel à l’auteur et à l’inventeur.

Avec le numérique, tous les contenus ont été codifiés, toute espèce de connaissance de vient reproductible très rapidement. Vrai désastre pour les droits d’auteur classiques avec l’impossibilité de faire la différence entre la copie et l’original (par exemple pour un morceau de musique).

Rend obsolète le verrou technologique pour empêcher les gens de copier.

La bêtise du numérique :

On a enfin pu donner une bonne définition de l’intelligence avec le numérique. Le numérique codifie les choses. Programme déjà codifier, son exécution est très facile. Intelligence = réponse nouvelle à une question nouvelle qui n’a pas été programmée. C’est le nouveau non programmable, non programmé immédiatement.

Mémoire, c’est une destruction créative. Si on n’oublie pas on devient fou.

Toutes les connaissances immatériels 1 ont été absorbées par le numérique (foisonnement d’informations et mémoire n’est plus un problème). C’est alors la création qui a pris de la valeur. Capacité à interpréter la connaissance et à la contextualiser. Le cerveau calcule mal et a une mémoire de cochon et pourtant il est capable de traiter le complexe (système à plusieurs milliers de variables).

Les immatériels 2 prennent de la valeur aujourd’hui tandis que les immatériels 1 en perdent.

L’ordinateur ne met pas de sens sur les informations. L’ordinateur ne créée pas de nouvelles métaphores.

Les immatériels 2 : les 3C >> Confiance / Coopération / Care (soin). Le « care » soin singularisé (l’attention singularisé). Exemple des soins palliatifs à l’hôpital.

The Flight of the Creative Class par Richard Florida. Les 3 T : Technology / Talent / Tolérance.

On commence à traiter les singularités des individus, les talents. Structure qui permet au gens de déployer les singularités. Dans beaucoup de métiers qui apparaissent, c’est ça qui devient important.

Compliqué vs le complexe (de choses non codifiables)

Les gens qui évoluent dans les immatériels 2 sont tolérants (ce que dit Florida). Ne recherchent pas à se rattacher à des normes et n’hésitent pas à sortir du lot.

Programme de réhabilitation urbaine : comment va t on rendre les territoires attrayants pour ces 3T (les technologies de pointes, les talents, la tolérance).

Le transculturel : on s’intéresse à se qui passe « entre ».

CAPITALISME COGNITIF

C’est un troisième capitalisme : refonde l’ensemble des concepts (capital, salariat, accumulation de biens). La part des investissements dans les immateriels à partir des années 85 a constitué l’essentiel des investissements : la connaissance, la recherche, les réseaux, à la place des ponts etc…

85% de la valeur d’une entreprise réside dans ses immateriels. Constituée par le réseau de ses fournisseurs, de se clients, les savoirs faire, tous les éléments qui font que l’entreprise pourrait disparaître matériellement et pourrait se reconstruire très rapidement.

Structure de la valeur d’un produit aujourd’hui (d’une paire de chaussure à un i-pod) :

  • Produit matériel en lui même 10% de la valeur
  • transport 10%
  • réseau de distribution 10%
  • tout le reste qui peut varier de 50% à 30%. La marque : propriétés intellectuelles qui incorpore les connaissances.

La réalisation des objets matériels a perdu de la valeur. Elle est devenue nécessaire mais pas fondamentale (exemple de Foxconn à Shenzen pour la fabrication de mac).

Le noyau dur est passé ailleurs.

La capitalisation boursière : se porte très mal pour les objets matériels par rapport à Google par exemple (de 50 à 180 milliards de dollars pour Google ; Apple à dépassé Microsoft). La seule qui dépasse les entreprises du cognitif c’est Exxon.

Aujourd’hui partenariats entre grands constructeurs automobiles (avec des règles) Nissan-Renault.

D’une manière générale, accord de partenariat mieux que de racheter des brevets. Permet la captation des Immateriels 2 et des apprentissages. Il faut faire des JV.

Capitalisme cognitif :

  • Sphère de la pollinisation humaine. Externalités positives et négatives et les capter.
  • Croissance soutenable, acceptation sociale, réseaux numériques, les produits dérivés de la finance, les nouveaux médias, les réseaux sociaux et Google
  • Phénomène de C to C (consumer to consumer)
  • Marketing viral : la contrefaçon ne porte pas ombrage (pub) pour les produits de luxe. Les lieus ou la contrefaçon est la plus importante sont aussi les lieus ou les produits originaux se vendent le mieux.

Le capitalisme cognitif tend à s’approprier une partie des externalités positives.

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