Quelles sont les formes de culture apparues avec les nouveaux outils informatiques ? En quoi constituent-elles une innovation dans notre rapport au savoir ?
En quoi modifient-elles les enjeux économiques ?
Nous étudierons plus particulièrement la question du livre numérique et des enjeux qu’il soulève.
Avec l’outil numérique, on assiste au passage d’une forme matérielle à une forme virtuelle de la connaissance. La dématérialisation des supports rend les contenus infinis et indépendants des ressources naturelles, ce qui a pour conséquence de démultiplier les possibilités de traitement, de stockage et de production du savoir et de la connaissance.
Il s’agit d’un savoir ouvert, qui trouve son existence propre dans sa communication.
L’accès à ces données se fait à travers différents terminaux. L’information n’est donc plus liée à des lieux physiques, tels que les librairies, les bibliothèques, les marchands de journaux… Il peut se faire n’importe où et à n’importe quel moment grâce à l’internet mobile.
Ces nouveaux outils permettent d’avoir un accès à la culture beaucoup plus personnalisé. Ils réduisent la médiation dans la recherche de l’information.
Chacun peut donc se construire sa propre culture de manière beaucoup plus personnelle que lorsqu’elle est conditionnée par une sélection préalable (celle du libraire par exemple).
Il n’y a pas de tri dans l’information, c’est à chacun de juger de sa crédibilité (tandis qu’auparavant, cette part du travail était assumée par des professionnels).
Par ailleurs, chacun a dorénavant la possibilité de publier facilement et rapidement des informations grâce au WIKI. L’utilisateur devient un acteur à part entière de l’information disponible sur internet. Il a la possibilité de créer, de co-produire de collecter et de diffuser des contenus. Ainsi la diffusion de l’information n’est plus réservée à une élite.
Du fait de la libre circulation de l’information, la culture est en perpétuel mouvement.
La grande diversité de contenus liée au libre accès à la diffusion et à la manipulation des informations pose les questions de la qualité et de la fiabilité de l’information. Il est difficile de savoir quel crédit accorder aux informations disponibles sur internet. L’idée de transparence selon laquelle le savoir n’est plus détenu par un groupe restreint de personne a pour conséquence directe une disparition des repères pour juger de la qualité de l’information.
A partir du moment où on ne peut plus se baser sur la matérialité propre des supports (lettre, journal, revue, livre…) pour distinguer, classer et hiérarchiser l’information, il devient nécessaire de mettre en place des nouveaux repères.
Une des pistes pour la mise en place de ces nouveaux repères réside dans l’identification de la provenance et des modalités de publication. Il s’agit en effet d’interroger la construction de l’information afin de pouvoir évaluer sa crédibilité : rechercher qui en est à l’origine (particulier, organisme…), quel est son mode de publication, comment on y accède.
La crédibilité et la pertinence de l’information deviennent de vrais enjeux économiques.
Dorénavant, l’information constitue une valeur économique.
Dans le domaine de l’édition, trois nouvelles formes sont apparues avec les outils numériques:
– L’impression à la demande.
– L’ e-book.
– Les formats ouverts.
Si ces nouveaux outils transforment le rôle de l’éditeur, ils interrogent également la notion de livre. On peut ainsi se demander si ce qui prévaut dans l’idée de livre est le contenu ou l’objet en lui-même. Quand on parle de livre électronique, désigne-t-on la machine qui reçoit le texte où le texte envoyé à la machine ?
Par ailleurs, la publication numérique pourrait -être économiquement avantageuse pour les éditeurs, dans la mesure où les dépenses administratives, les coûts d’impression, de vente et de distribution des livres physiques représentent 40% des coûts.
Quel est l’avenir de l’édition numérique ? quels en seront les avantages et les inconvénients pour les éditeurs ? Que désignera-t-on dans le futur par « livre » ? Quel est le potentiel d’innovation du livre numérique?
Pour commencer, il apparaît qu’à chaque révolution liée aux supports de la culture écrite de nouveaux gestes et de nouveaux usages se mettent en place:
Ainsi au IVème siècle, le passage du parchemin au codex (livre composé de feuilles pliées, assemblées et reliées) a instauré de nouveaux gestes directement liés à l’invention de la page : la possibilité d’écrire en lisant, de feuilleter, de repérer un passage particulier…
Avec l’apparition de la textualité électronique, il existe dorénavant 3 modes d’inscription et de communication des textes :
– l’écriture manuscrite.
– La publication imprimée.
– La textualité électronique.
On assiste ainsi à une révolution du support de l’écrit qui à pour conséquence une révolution des pratiques de lecture.
L’outil numérique redéfini la notion de livre ainsi que son usage.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’auteur, l’outil numérique offre la possibilité de transformer le processus de création : Il lui permet de développer son argumentation selon une logique qui n’est plus nécessairement linéaire et déductive mais ouverte, éclatée et relationnelle.
Ainsi la révolution du texte électronique entraîne une révolution de la technique de production des textes, et offre la possibilité de mettre au point de nouvelles formes d’écriture.
Il change également la donne en matière de reproduction.
En quoi le livre électronique peut apporter une valeur ajoutée par rapport à la version papier ? Quels sont les atouts du livre véritable ?
Tout d’abord, il apparaît que le livre électronique permet d’atteindre certains publics jusqu’alors tenus à l’écart du marché de l’édition :
Ainsi le projet 3T book projette d’adapter le livre « les Pierres de Venise » de John Ruskin dans une édition multimédia accessible aux aveugles et aux malvoyants. Le livre serait composé d’un CD-Rom ainsi que de planches en relief.
Cet exemple illustre bien comment le livre électronique offre la possibilité de penser de façon plus riche des ouvrages destinés à des personnes malvoyantes.
Par ailleurs, le livre électronique offre de gros avantages en terme de capacité de stockage : Il devient ainsi possible d’avoir la totalité de sa bibliothèque sous la main à tout moment.
Internet permet également de réduire les coûts de diffusions des livres classiques en offrant la possibilité de choisir des ouvrages dans des librairies virtuelles et de les imprimer à la demande ou de les télécharger (par exemple sur Amazon.com ou 00h.com). La publication numérique apparaît donc comme économiquement avantageuse pour les éditeurs, dans la mesure où les dépenses administratives, les coûts d’impression, de vente et de distribution des livres physiques représentent 40% des coûts.
Internet offre également la possibilité pour les auteurs de publier leurs textes directement, sans passer par l’intermédiaire d’un éditeur. Cependant, quelle est l’existence réelle de ces écrits dans la mesure où ils sont difficile d’accès et où ils touchent par conséquent un public restreint ? Selon Marc Alpozzo, « l’éditeur numérique à présent se transforme peu à peu en une plate-forme d’information (liens, forums, livres gratuits…) ».
L’éditeur devient pluridisciplinaire, dans la mesure où il assure les rôles d’éditeur, de libraire et de diffuseur. Ainsi l’idée selon laquelle internet offrirais la possibilité de démocratiser l’accès la diffusion est suppléée par la question de l’accès à l’information. C’est pourquoi il ne semble pas qu’internet marque réellement la fin du « prêt à penser », c’est-à-dire de la sélection des informations en fonction de leur rentabilité.
Par ailleurs, l’édition en ligne permet de faire entrer le lecteur dans le processus éditorial (voir le site du Seuil).
Ainsi le rôle de l’éditeur sera de mettre en place un dispositif permettant de percevoir à l’écran la différence entre un livre et tout autre type de texte et plus particulièrement la distinction entre un livre et la libre circulation des réflexions et créations de chacun.
Cette distinction passe par la reconstitution dans la textualité électronique, d’un ordre des discours permettant de différencier les textes spontanément mis en circulation sur le réseau et ceux qui ont été soumis aux exigences d’un travail éditorial, et de rendre perceptible le statut et la provenance des discours et ainsi de leur attribuer plus ou moins d’autorité en fonction de la modalité de leur publication.
Il est donc nécessaire de mettre en place des systèmes de sécurité.
Par ailleurs, qu’en est-il de la protection des droits d’auteurs ?
Le téléchargement rend difficile la protection des droits d’auteurs, dans la mesure où il est difficile d’empêcher celui qui a téléchargé de le transférer à un ami. On se retrouve confronté au même problème que dans le domaine de la musique.
Il apparaît donc indispensable d’utiliser des systèmes de téléchargement contrôlé. Adobe et Microsoft proposent par le biais de leurs structures commerciales des systèmes de protection très onéreux pour rendre les fichiers lisibles sur tous type d’écran informatique. La quantité des formats à prendre en charge (PDF, XML, Adobe Ebook Reader, Microsoft Reader, open Ebook…) rend la réalisation d’un e-book relativement coûteuse, ce qui explique que le marché soit encore réduit. Une standardisation du format numérique dans le monde de l’édition permettrai de réduire ces coûts.
Une autre solution pourrait résider dans l’accès payant en ligne.
Par ailleurs, la question des formats pose la question du lien entre le commerce des machines électroniques et l’édition en ligne et des risques d’une hégémonie économique et culturelle imposée par les grandes puissances du multimédia et du marché des ordinateurs.
Des prototypes d’ordinateurs portables destinés à la lecture ont été mis au point afin de distinguer un livre électronique d’un simple ordinateur portatif : Softbook(softbook Press), Rocket ebook (Nuvomedia), EB Dedicated Reader (Everybook).
Voir www.rocket-ebook.com
www.softbook.com
www.everybook.net
Le Cybook se présente par exemple dans un étui semblable à une couverture de livre.
Parallèlement à la conception d’un objet spécifique, se pose la question des interfaces de lecture : Quels types de logiciels pourrait-on concevoir afin de s’adapter à la lecture à l’écran et de mettre en place une nouvelle manière de lire ?
Comment exploiter le digital, la navigabilité ainsi que les possibilités d’interraction ?
On retrouve pour l’instant dans la lecture à l’écran tous les repérages propres à la forme qui est celle du livre :pagination, index, tables…
Avec Acrobat Reader 4.05 (Adobe), 2 nouvelles fonctions apparaissent :
– La rotation de texte.
– Le plugiciel WebBuy qui permet de télécharger des livres au format PDF à condition de s’être inscrit auparavant ou d’avoir payé des frais d’abonnement.
Il permet un téléchargement contrôlé, ce qui permet d’accéder à une sécurité au niveau des droits d’auteurs et de reproduction. C’est donc un outil fiable pour le monde de l’édition.
Un des grands potentiels du livre électronique réside dans la lecture interractive :
-L’hypertexte permet des accès multiples, l’utilisation des images, des images animées et des sons.
Le livre de David Small (The Illuminated Manuscript, 2002) présenté à l’exposition Design interactif au Centre Pompidou (voir http://www.davidsmalls.com) est un bel exemple de ce que pourrait être l’avenir du livre. Il propose grâce à un système de caméra et de capteur une lecture tactile du texte. Il intègre ainsi les capacités de création de l’outil numérique tout en conservant les gestes traditionnellement liés à la lecture.
Par ailleurs, le livre numérique offre également la possibilité d’introduire des annotations.
Le lecteur devient co-auteur : le livre n’est jamais clos.
Il permet ainsi un phénomène de sociabilisation et d’échange autours du livre et de sa création. De telle pratiques posent la question de la signature de l’œuvre : La frontière entre l’auteur et le lecteur devient difficile à distinguer.
Pour conclure, selon Jean Trudeau (« le livre électronique, une technologie sur mesure pour la formation à distance »), il existe 5 conditions au succès du livre numérique :
– L’arrivé d’un ordinateur portable format livre assez puissant dont l’écran est adapté à la lecture et facilement branchable et peu coûteux.
– L’adhésion des milieux de l’édition à un format numérique standardisé (open ebook) et à un protocole de transmission sécuritaire pour les droits d’auteurs et pour les droits de reproductions (EBX).
– La multiplication des bibliothèques et des librairies virtuelles pour distribuer ces livres auxquels on pourra se brancher en tout temps.
– La mise au point de logiciels adaptés à la lecture active à l’écran.
– Des lecteurs qui prennent plaisir à lire longtemps sur un écran.
Cependant, il apparaît surtout que les outils numérique offrent bien davantage qu’un nouveau moyen de diffusion de livres traditionnels. Ils permettent de repenser dans son ensemble la forme et le contenu du livre en l’envisageant comme une matière virtuelle non figée.
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