Conclusion de l’enquête e-book jeunesse

L’avénement de l’e-book concerne plusieurs acteurs aux intérêts singuliers. Alors que les fabricants de tablettes se réjouissent et flairent le coup facile, les éditeurs se voient dépendre d’un nouveau support dont ils n’ont pas l’habitude. Les équipes éditoriales se transforment, augmentées de développeurs, de designers graphiques, de « community manager ». Les contenus aussi évoluent vers de plus en plus d’intéractivité entre le lecteur et le support. L’oeuvre nativement numérique prend le vent, promettant plus de résultats que les livres numérisés qui, pour les enfants, ne sont pas suffisamment en adéquation avec le support. Qui dit oeuvre numérique dit nouveau modèle économique, nouveaux moyens de diffusion et surtout accroissement des possibilités de partage. Le lecteur est au coeur d’un réseau où l’offre est si facilement accessible qu’elle questionne le respect des droits d’auteurs. Enfin, le support permet de nouvelles narrations, complémentaires du papier qui s’attardent d’avantage à développer l’éveil de l’enfant et sa créativité.

PDF de l’enquête : clementine pellegrin – ebook jeunesse

e-book, l’évolution culturelle

L’expression de nos savoirs se fait à travers des supports qui en permettent la diffusion et qui s’adaptent aux façons de partager de notre époque.

L’évolution de la tradition orale à l’écrit qui remonte à des millénaires témoignait d’une nécessité de préciser les savoirs, de les fixer dans le temps. La transmission orale imposait le moment de la communication, le rythme de lecture, la linéarité de la récitation. Le passage à l’écrit permit de dépasser ces trois limites tout en assurant la conservation de l’intégralité d’un fait, une plus grande abstraction dans le récit, le retour en arrière dans le texte, le choix d’un passage, le moment de lecture. « Ce qui était fluide et mouvant peut devenir précis et organisé comme le cristal, la confusion peut céder la place au système. Bref, avec l’écrit, les productions de l’esprit entrent dans l’ordre objectif du visible » relate Christian Vandenpore dans son essai Du papyrus à l’hypertexte. Mais la révolution d’un support s’opère sur de longues périodes. L’oral qui s’adaptait parfaitement à la poésie, aux contes, s’est muté en une parole écrite, longtemps oralisée, qui a généré de nouvelles formes d’écritures spécifiques à l’écrit comme le roman, l’essai, la page web.

Avec le livre numérique, on quitte l’objet livre, un média linéaire définit par un ensemble fermé, pour rejoindre des supports connectés où le lecteur manipule l’écrit, l’animation et le son selon un schéma plus libre. Comme pour le passage de l’oral à l’écrit, le passage du livre à l’oeuvre numérique promet une nouvelle archéologie de l’épistémé. Pour Roger Chartier, l’objet livre a orienté la façon de concevoir la connaissance. Pascal Robert parle de la « fonction livre » que Frederic Kaplan reprend dans son papier « la fonction architecturante du livre ». Il précise :  « C’est précisément parce qu’il permet cette structuration hiérarchique, que le livre traditionnel a pu être le support de la demonstration longue et de la narration complexe. C’est parce qu’il est fermé comme un bâtiment qu’on visite, avec une entrée et une sortie, un début et une fin, qu’il permet le récit borné et l’argumentation articulée. En d’autres termes, c’est parce qu’il peut être structuré de manière architecturale que le livre a permis la pensée architecturée. »

Certains éditeurs, et surtout ceux qui ont choisi le modèle des livres numérisés conservent la linéarité du média papier. C’est l’exemple de Bayard qui propose les j’aime lire sur une page déroulante commandée par le geste de l’enfant. Les outils proposés sont peu intéractifs et semblent conçus pour fidéliser le numérique au papier. On retrouve le marque page, on découvre un curseur qui indique le pourcentage de notre lecture pour combler la lacune du numérique qui efface la profondeur du roman. Et puis un « j’ai tout lu » apparait comme un trophée sur le j’aime lire store pour que l’enfant se repère dans ses lectures. De notable, l’enrichissement du texte par la lecture orale qui donne une autonomie à l’enfant, même seul et en bas âge. « Une autonomie appréciée des parents » confie Stéphane Mattern, auteur chez Bayard. Lors de la récitation, les mots dictés se teintent de rouge et l’enfant peut ainsi associer un son à un mot et faire ses premiers pas vers la lecture autonome.

Bayard fait partie des éditeurs qui considèrent que les meilleurs ventes numériques correspondront à celles papier et qui lance massivement la numérisation de ses collections sans s’attarder sur les potentialités du numérique. On soupçonne derrière ce choix non pas la difficulté à tenir deux modèles économiques indépendants – le papier et le numérique- car Bayard reste une grande maison, mais plutôt la crainte de voir les métiers de l’infographie et du développement informatique remplacer les métiers de l’édition. Et puis pour rassurer le public. Parce que le livre est un support auquel nous sommes affectivement attachés. Alors Bayard fait la transition. En douceur.

Pour Derrida, « la fin de l’écriture linéaire est bien la fin du livre, même si aujourd’hui encore, c’est dans la forme du livre que se laissent tant bien que mal engainer de nouvelles écritures, qu’elles soient littéraires ou théoriques ». (1967, p.129-130)

Il faut bien distinguer la linéarité du média de celle du contenu. Le livre est un média linéaire parce qu’il comporte des pages, une première et une dernière. Mais le livre peut être un dictionnaire, et personne ne lit un dictionnaire du début à la fin parce que son contenu offre des réponses à des recherches ciblées. Un livre peut être un roman comme La vie mode d’emploi de Georges Perec qui propose une lecture tabulaire, que l’on choisit en se référant au sommaire. Enfin, même dans un récit chronologique, des événements perturbateurs peuvent renvoyer à un temps passé ou futur, déconstruisant la linéarité. Voici la définition que donne Christian Vandenpore de la tabularité  » La tabularité (…)  désigne ici la possibilité pour le lecteur d’accéder à des données visuelles dans l’ordre qu’il choisit, en identifiant d’emblée les sections qui l’intéressent, tout comme dans la lecture d’un tableau l’œil se pose sur n’importe quelle partie, dans un ordre décidé par le sujet. »

Pour les éditeurs numérique jeunesse comme Nosy Crow, Mindshapes, Touchpress, la tabularité peut être augmentée par le numérique et créer de nouvelles formes de narrations qui répondent à la curiosité de l’enfant et l’accompagnent dans son apprentissage. La maison d’édition Mindshapes considère sérieusement le changement entraîné par le numérique dans le processus de diffusion des savoirs et a fait appel à une équipe de psychologues pour travailler sa plateforme de lecture pour les 2-6 ans. Objectif, établir et développer le vocabulaire, stimuler l’imagination, amorcer le développement social et émotionnel de l’enfant. Et ce, en plaçant l’intéractivité au coeur de l’innovation. Qui dit intéractivité dit dynamique entre l’usager et le contenu. « L’hypertexte permet de manipuler des données de toute sorte, et pas seulement langagières, tels des images, des sons et des séquences vidéo ou animées. Il permet aussi de moduler l’interaction du lecteur avec le document en prévoyant dans les “ objets ” présentés à l’écran divers types de réactions accordées aux mouvements effectués par le lecteur à l’aide de la souris » confie Christian Vandenpore.

Nosy Crow exploite ce principe à travers son oeuvre numérique « Franklin Frog » où l’enfant conduit un têtard vers son âge adulte. Toute le cycle de la vie d’une grenouille est présenté de manière didactique et seul la participation active de l’enfant permet d’en connaître le déroulement.

L’enfant doit être attentif au texte qui lui présente les actions à effectuer. Il peut aussi choisir une lecture orale des instructions. Christian Vandenpore voit dans cette « spectacularisation du texte » le plus grand apport du numérique. En effet, le mouvement de l’image, l’apparition d’un nouvel environnement à chaque clic, dépasse la surprise de la page suivante d’un livre. On est désormais plongé dans un univers qui convoque l’ouïe, la vue, le toucher.

L’éditeur Mindshapes propose la plateforme Magic Town où chaque maison regorge d’histoires. Certaines sont tirées des héros papiers préférés des enfants, d’autres nativement numériques. Cet environnement est l’illustration parfaite de la création d’un univers numérique qui offre une autre porte d’entrée aux histoires. La maison propose même au lecteur de construire son histoire en choisissant dans un paysage les objets qu’il souhaite faire intéragir. L’enfant peut s’enregistrer lors de la construction orale de son histoire et la faire réécouter plus tard à ses parents.

Hormis le cas particulier d’un lecteur créateur d’histoires, l’éditeur tient à ce que leurs oeuvres ne soient pas altérées par trop d’interactivités qui feraient perdre le fil de l’histoire à l’enfant. En effet, l’intéractivité place l’enfant devant des choix qu’il doit constamment faire et il est mois évident de garder en tête le contexte de lecture.

L’intéractivité est aussi pour d’autres le moyen d’intéresser les enfants à des thèmes inhabituellement mis à leur portée. Touch Press, maison d’édition britannique dirigée par Max Whitby propose des documentaires interactifs autour de l’Histoire (The Pyramids 3D, The war horse), la physique (The Elements, Solar Systems), la musique classique (The Orchestra). L’enrichissement numérique est remarquable. Leur dernière création The Orchestra est le fruit d’un travail avec le Philarmonic Orchestra de Londres.

La lecture de la partition défile en même temps que l’orchestre joue. On peut également choisir l’instrument dont on veut suivre la partition et connaître la position du musicien dans l’orchestre. Et les textes sont augmentés par les interviews des personnalités du Philarmonic Orchestra.

De même, The Elements propose une relecture pertinente d’un sujet souvent délaissé : la classification des éléments chimiques

http://www.touchpress.com/titles/theelements/

On peut zoomer sur l’élément jusque’ à entrer dans sa structure, tourner autour, choisir l’approfondissement des textes explicatifs ou opter pour la lecture orale. Une mise en musique des noms des éléments accompagne l’enfant dans une découverte ludique d’un domaine trop longtemps jugé hors de sa portée.

Les contenus Touch Press sont des supports pédagogiques très prisés en Grande Bretagne par les écoles.

 

En conclusion, nous avons vu que la construction de nos savoirs et leur diffusion passe par les supports que nous adoptons. Et les supports eux mêmes induisent de nouvelles organisations. L’avénement de l’e-book pour l’enfant doit donc être conduit par des choix responsables de la part des éditeurs qui engagent leur responsabilité morale envers les familles. alors que certains préfèrent le voir comme un fidèle ami et descendant du papier, d’autres choisissent de jouer la carte de l’intéractivité pour redonner goût à la lecture, accroître les réflexes, stimuler la concentration et intéresser l’enfant à des thèmes souvent exclus de son répertoire.

 

Sources :

Conférences du MICE, Salon du livre jeunesse Montreuil novembre 2012

Rencontre avec Stéphane Mattern, auteur chez Bayard

Christian Vandenpore, Du papyrus à l’hypertexte http://vandendorpe.org/papyrus/PapyrusenLigne.pdf

http://nosycrow.com

http://www.touchpress.com

www.magictown.com

http://fkaplan.wordpress.com/2010/07/27/la-fonction-architecturante-du-livre/

 

Quel modèle économique pour l’e-book ?

Avec le livre numérique, des milliers d’usagers peuvent désormais se connecter en même temps. La rareté de l’oeuvre n’existe plus.

Alors quel prix au livre numérique?

Pour l’instant, le livre numérisé jeunesse, provenant du papier, est environ 30% moins cher. Et pour cause, il exclut les frais d’achat de papier, les impressions, les invendus et surtout, il s’appuie sur des contenus pré existants.

Mais qu’en est-il de l’oeuvre nativement numérique ? On pourrait envisager un prix plus faible dû à la dispense de numérisations et à la forte prégnance du modèle libre ou à très bas coût du marché de l’applicatif (une application sur l’appstore vaut en moyenne 1,92 €). Pourtant son prix reste élevé dans le domaine jeunesse, évoluant chez les maisons d’édition qualitatives comme Mindshapes, Touch Press, Nosy Crow, entre 5 et 15 euros. Trop cher pour une oeuvre qui n’est même pas tangible dira-t-on. Mais désormais, la comparaison entre le coût d’un livre et celui d’une oeuvre numérique est absurde, autant que l’est celle d’un roman et d’un DVD. L’oeuvre numérique est intéractive, propose du son et de la vidéo, recquiert dix fois plus de temps à la conception qu’une oeuvre papier ainsi que de nouvelles compétences. « Une minute d’animation correspond à une semaine de travail » atteste Christian Dorffer, co-fondateur de la maison d’édition numérique britannique Mindshapes.

Inquiétude chez les éditeurs, le devenir du prix unique du livre qu’ils étaient les seuls à décider. Les exploitants de plateformes de distribution comme la Fnac, Amazon ou Apple à qui une partie des recettes éditoriales est reversée pourraient bien être les nouveaux régulateurs de prix. Aucun modèle juridique ne traite néanmoins de ce point à ce jour. Mais certains éditeurs comme Touch Press fondé par Max Whitby, posent dès à présent les marques de leur indépendance avec un fonctionnement interne particulier basé sur une grosse équipe d’ingénieurs développeurs. Ainsi, seuls 4% de leur production est reversée à des mainteneurs comme IOS contre 30% dans le cas de la mise en ligne de contenus sur l’appstore.

Autre phénomène redouté, le piratage numérique et le libre accès qui suivront le passage du livre au réseau. Alors le refuge, ce sont les DRM, Digital Right Management ou gestion des droits numériques. Ces dispositifs ont pour objectif de contrôler l’usage qui est fait d’une oeuvre numérique. Très utilisés pour les oeuvres musicales ou cinématographiques, ils s’appliquent désormais aux livres numériques. D’après les petits éditeurs comme Angry Birds, « Ce sont les plus grands éditeurs qui s’accrochent désespérément à ce radeau. Nombre de petits éditeurs prônent le sans DRM maintenant, ou du moins, ne s’inquiètent pas du piratage outre mesure. » Les bibliothèquaires aussi commencent à pointer les grands groupes du doigt. Trop soucieux de protéger leurs oeuvres, ils refusent de les partager sur les plateformes des collectivités, s’indigne un bibliothèquaire de la bibliothèque numérique de référence de la BM de Grenoble avec son papier « Comment les DRM ont eu la peau des bibliothécaires » sur le blog Bubiblog.

Toujours sur le même blog, un usager regrette amèrement l’achat d’un livre numérique avec DRM qui est illisible sur son support, ne permet aucune copie même privée, limite l’ouverture du pdf à un nombre restreint de périphériques. Pour lui, cette politique de protection est une entrave à son droit de lecteur. Et ajoutons que dans le droit de lecteur, il y a le droit au partage. Après tout, on prête bien un livre papier. Philippe Aigrin, fervent défenseur du sans DRM déclare  » La prévisibilité de cette guerre au partage m’a poussé depuis longtemps à estimer que c’est aussi et même particulièrement dans le domaine du livre numérique qu’il faut d’urgence reconnaître un droit au partage non-marchand entre individus associé à de nouvelles rémunérations et financements, faute de quoi le déploiement massif des DRM et la guerre au partage feront régresser tragiquement les droits des lecteurs – et parmi eux des auteurs – même par rapport aux possibilités du livre papier « .

Le pacte entre lecteur, auteur et éditeur doit être respecté sans quoi les échanges ne peuvent prospérer.

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Certains l’ont compris et font du sans DRM un argument de vente (Les Editions Zoé, Editions XYZ, Métalié, Au Diable Vauvert, Editions Buchet Chartel…). D’ailleurs pour eux, les DRM n’ont jamais fait leurs preuves, au contraire puisqu’en rendant les contenus difficilement exploitables, ils inciteraient au vol.

Comment faire coexister un modèle viable pour les éditeurs et auteurs tout en préservant la valeur culturelle du partage entre acquisiteurs ?

Pour Philippe Aigrain, pour que les échanges entre lecteurs puissent perdurer, une proposition économique soutenable doit être instaurée. Elle comprend les échanges hors marché et l’interdiction d’utilisation de sites de prestataires visant à centraliser les contenus. Pour s’assurer que le partage soit raisonné, une technologie plus souple que les DRM Adobe existe. Il s’agit du tatouage numérique ou watermarking qui permet de détecter le nombre de copies. Toute modification du contenu ou tentative de suppression du marquage anéantit l’oeuvre. Ce nouveau dispositif amorce la chute de la non concurrence et du monopole des DRM Adobe. Aux Pays Bas, le distributeur et grossiste leader Centraal Boekhius offre aux éditeurs néerlandais la protection de leurs e-books par watermarking jusqu’au 31 Décembre. Pour Boekhius,  c’est une façon de fonder une image de marque sur la confiance et la responsabilisation du lecteur. Et en tant que premier fournisseur des librairies néerlandaises, il s’assure une force de frappe pour persuader le client et lancer l’offre numérique.

En conclusion, le livre numérisé descendant direct du papier, n’a pas encore d’identité propre et son prix est fixé en fonction de son prédécesseur. Mais l’oeuvre nativement numérique qui émerge, et devrait largement se répandre, appelle des compétences qui dépassent les professions de l’édition. Son prix doit être entièrement distingué de celui d’une oeuvre papier. Enfin, le numérique est potentiellement un moyen d’accroître les échanges entre lecteurs, en celà, il est pour certains un objet qui doit rester libre d’accès. Et pour que les fins de ces activités soient culturelles, il est nécessaire de les raisonner via des technologies respectueuses des droits des lecteurs et de renforcer par là même le pacte de confiance entre lecteur, auteur, éditeur et distributeur.

 

Références :

Rencontre du MICE au Salon du Livre Jeunesse à Montreuil en novembre 2012

http://blog.hatt.fr/comment-les-drm-ont-eu-la-peau-des-bibliothecaires

http://scinfolex.wordpress.com/2012/11/08/pour-un-droit-au-partage-des-livres-numeriques/

http://www.actualitte.com/usages/inciter-les-editeurs-a-abandonner-les-drm-pour-le-watermarking-38869.htm

http://www.journaldunet.com/ebusiness/internet-mobile/iphone-app-store-france/prix-moyen-des-application.shtml

l’e-book, une opportunité éditoriale ?

Ce mois ci, Livres Hebdo dresse le bilan des ventes et « tous les secteurs du livre papier sont dans le rouge ». En effet, en cette fin 2012, l’Ipsos annonce -2% des ventes de livres au détail tous rayons confondus avec une exception pour le livre jeunesse dont le chiffre reste stable. Pas pour tout le monde. Lors de la rencontre de Stephane Mattern, auteur illustrateur chez Bayard, le bilan est plus alarmant, avec une baisse des ventes de 30 % depuis 5 ans. Alors, d’un pas étrangement commun, les éditeurs se tournent vers le numérique pour redresser le cours des ventes. Chez Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet annonce « un de nos challenge est incontestablement le numérique, même si le marché français est encore balbutiant ». En Amérique, même tendance, avec néanmoins un avancement déjà plus conséquent dans le domaine du livre numérique jeunesse. Pour Caroline Fortin, au Québec,  » En 2012, pour la première fois, le numérique est rentable, et c’est heureux car le marché du livre papier est de plus en plus difficile « . Et avec le numérique, on évite les invendus. Les impressions peuvent désormais se faire à la demande et les exemplaires sont livrés à domicile. C’est le service que propose lulu.com, nouvelle plateforme de vente en ligne de livres numériques.

De même, les offres commerciales sont renouvelées et l’éditeur profite des blogs et des réseaux sociaux pour communiquer avec son lecteur, étudier sa cible, avoir un retour direct sur le produit et avoir ainsi une offre toujours adaptée et vendeuse. Chez Bayam – la nouvelle marque qui unit Bayard et Milan – une messagerie interne a été mise en place pour communiquer avec les abonnés. Pour le lecteur, c’est le moyen d’échanger facilement avec son illustrateur préféré, de lui envoyer certaines de ses oeuvres personnelles, des réactions sur ses héros préférés. « Les enfants adorent » confie Stephane Mattern qui précise néanmoins le fort investissement nécessaire aux illustrateurs et auteurs pour mener à bien cette opération. Il en atteste, les métiers de l’édition sont profondément transformés par le numérique. Pour Glenn Tavennec, chargé de la collection R ados chez Robert Laffont, la communication directe avec les clients via des réseaux sociaux est « une démarche différente de celle du marketing, une autre façon d’être éditeur ». Cette fidélisation par le web est appréciée des adolescents qui préfèrent la communication horizontale, où leur avis critique sur les livres est entendu. Un club facebook plus fermé a même été créé – regroupant des blogueurs privilégiés à l’image des comités de lecture – à qui il est proposé de choisir les premières de couvertures. Dernier bouleversement, les nouveaux postes créés au sein de l’équipe : le community manager -chargé des pages de blogs et de réseaux sociaux- et le développeur. Ce dernier a un rôle primordial dans la grande opération de numérisations lancée chez tous les éditeurs jeunesse. Il s’associe souvent au webdesigner chargé d’assurer la cohérence visuelle lors du passage du papier au pixel.

La fidélisation s’effectue aussi via des librairies en ligne qui proposent des parutions hebdomadaires. Le J’aime lire store Bayard référencé sur l’appstore propose un abonnement de 3 €/mois pour les abonnés de l’offre papier et de 5 € pour les non abonnés. A travers cette démarche, on comprend que Bayard entend le numérique comme un complément et un moyen de redressement des ventes papier.

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Autre bouleversement, la fragmentation du contenu du livre qui désormais se vend chapitre par chapitre, s’envisage comme une série télévisée divisée en épisodes. C’est déjà le parti pris commercial de la plateforme storylab et de l’éditeur de guides de voyages Ulyssse. Pour Fredéric Kaplan, le passage du livre au réseau connaîtra la même histoire que l’album musical.  » Rappelons nous que dans le domaine de la musique, le concept album, pensé comme un parcours fermé et structuré gravé dans la structure stable des sillons d’un disque vinyle, n’a pas bien résisté au passage en réseau. Il s’est métamorphosé en un ensemble de morceaux individuels, isolables, liés les uns aux autres de manière fluide, facilement réorganisable ».

Un nouveau point fort, la mise en ligne instantanée qui efface les très longs délais d’impression et de mise en vente relatifs au papier. En témoigne la belle production numérique « The Snowman’s Journey » de l’éditeur indépendant britannique Nosy Crow. Le 9 Novembre parait la publicité de John Lewis Christmas Advert 2012. C’est un grand succès, Nosy Crow décide d’un partenariat avec l’équipe artistique de l’enseigne. Vingt jours plus tard le livre numérique « The Snowman’s Journey » est en ligne sur le site de l’éditeur. Plus tard sortira le livre augmenté d’un QR code pour une lecture orale et un fond musical. Ainsi, l’éditeur peut être très réactif et son offre numérique gagne en compétitivité.

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Nous l’avons vu, le rôle de l’éditeur a évolué, son équipe s’associe aux développeurs, sa proximité avec le client s’accroît et remodèle les équipes de travail. Pour Nicolas George, directeur du livre et de la lecture au Ministère de la Culture et de la Communication, le rôle de l’éditeur est de plus en plus tourné vers l’exploitation économique de la marque et de sa construction. Bayam, nouvelle marque fondée pour unir Bayard et Milan et en numériser les contenus en est un exemple. Au sein de cette mutation, l’auteur est soumis au choix de l’éditeur. Stephane Mattern, illustrateur jeunesse chez Bayard explique : le contrat avec Bayard implique à chaque auteur et illustrateur l’acceptation de la diffusion de sa production sur papier comme sur numérique. Mais il accepte cette règle. « Si Bayard coule, on coule. De plus, l’oeuvre au format numérique pourrait ouvrir des perspectives pour se faire connaître et intéresser une nouvelle clientèle.  » Côté britannique, l’éditeur de livres papier et numérique Nosy Crow exploite le potentiel du numérique (logo dynamique, son associé..) pour renforcer l’image de marque de la maison et lui donner plus d’impact en magasin.

Un nouvel éditeur apparaît mais il pourrait parfois se faire remplacer. En effet, avec le numérique s’installe la désintermédiation de la production. Des sites d’autopublication comme lulu.com, proposent des livres numériques créés par des amateurs.

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Ce sont les auteurs qui fixent désormais le prix de leur oeuvre, lulu.com se charge des impressions, prélève le cout de fabrication sur les ventes et reverse 80% du montant restant à l’auteur.  » Pour un livre de 200 pages vendu 20 euros, l’auteur percevra donc environ 12 euros par exemplaire acheté, contre moins de 2 euros chez un éditeur traditionnel  » explique Cyril Fievet, journaliste et auteur spécialisé dans les technologies numériques et les évolutions qu’elles entraînent. Par ailleurs, si ce type de production semble rivaliser avec les maisons d’édition, le créateur du site, Bob Young, concède néanmoins qu’il est peu probable de voir de véritables best-sellers émerger via ce modèle. « Ce n’est pas le but. Notre cible ce sont les gens qui ont des choses à dire mais dont l’audience est trop petite pour les éditeurs traditionnels ».

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En effet, côté livre jeunesse, Pablo Limaceau, même à 11,94 € n’est pas très aguicheur.

Après l’auteur, c’est le lecteur qui acquiert un des pouvoirs de l’éditeur avec la possibilité de modifier les fontes et la pagination des oeuvres grâce au format e-pub, standard choisi pour son adaptabilité à de nombreuses surfaces de lecture. Frederic Kaplan regrette cette personnalisation, préférant que les choix restent éditoriaux pour des résultats plus qualitatifs. Il confie : « Tout ce qui fait l’apparence d’une page d’un livre papier, la composition précise, la typographie, la mise en page, est perdu dans ce processus. Le livre au format ePub cesse d’être un édifice, il devient de l’information organisée, une maison réduite à un plan figurant un ensemble d’éléments reliés les uns aux autres.« 

En conclusion, l’enthousiasme des éditeurs pour le numérique promet la refonte de nouvelles équipes de travail, le croisement des professions de l’informatique et de l’édition pour un nombre de publications numériques croissant. Parallèlement, de nouveaux concurrents apparaissent aussi, à commencer par les sites d’auto publication.

 

Références

Papier de Cyril Fievet : http://www.zdnet.fr/actualites/lulucom-le-premier-editeur-en-ligne-ouvert-a-tous-les-manuscrits-39360859.htm

http://fkaplan.wordpress.com/2010/07/27/la-fonction-architecturante-du-livre/

http://nosycrow.com/blog/the-snowman-s-journey-is-on-sale-now

http://www.lulu.com/

Livres Hebdo 931, 23 Novembre 2012

Le livre numérique, une opportunité pour les fabricants de supports

L’e-book n’existe pas sans support. Pourtant son texte est bien plus nomade qu’il l’était pour le livre papier. Jean Sarzana parle de rupture d’unité entre texte et support. En effet, alors que papier et texte étaient indissociables, le contenu numérique s’adapte à une multitude de supports, on parle d’interopérabilité. Si la tablette et la liseuse sont les préférées des lecteurs, le contenu numérique peut être lu sur des appareils numériques plus répandus comme l’ordinateur, le smartphone… Mais le confort de lecture est déploré pour l’ordinateur qui est fixe, le téléphone dont l’écran est trop petit, ce qui fait la part belle aux nouvelles tablettes et liseuses. Et les maisons d’éditions attendent avec impatience les résultats des ventes de Noël pour lancer plus de numérisations.

Dans l’offre jeunesse, la tablette est en top 1 des ventes. Les liseuses mono taches au contenu uniquement disponible en noir et blanc attirent peu les enfants et s’adaptent mal aux applications jeunesse qui mêlent souvent l’image au son et à la vidéo.

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L’offre de la tablette d’abord familiale tend à s’individualiser, à l’instar de l’ordinateur devenu personnel. Ainsi, l’ipad de papa et maman assez fragile et plutôt cher pourrait bien disparaître des mains des enfants  au profit d’une multitude d’offres spécifiques dont l’initiative de production ne tient pas toujours aux fabricants de matériels électroniques. La tablette Gulli des chaînes Lagardère Active en est l’illustration. Le diffuseur s’adresse au plus de 5 ans et espère un an après sa mise sur le marché en décembre 2012 atteindre 600 000 ventes. Pour 200 euros, soit la moitié du prix d’un ipad, Gulli promet un environnement « fun pour les enfants, sûr pour les parents » cerné d’une coque verte en silicone anti choc.

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La multiplication de supports de diffusion donne à Gulli un impact plus fort sur le marché, une fidélisation accrue du client et une offre renouvelée pour toucher une nouvelle cible.  « L’enfant retrouve alors ses héros préférés de la télé » déclare Gwennaëlle Le Cocguen, directrice internet et nouveau usages chez les chaînes Lagardère Active.

Notons qu’une certaine confusion est entretenue entre support et contenu puisqu’aucune application étrangère à l’environnement Gulli ne peut être téléchargée. Avec cette tablette, on fait la promotion d’une marque pendant que l’on lit son histoire du jour. L’image de marque du diffuseur est mise en avant, là où le papier communiquait assez peu l’identité de la maison d’édition.

En conclusion, par rapport à une tablette pour adultes, la tablette Gulli est :                      La propriété de l’enfant. Mais les applications aussi lui appartenaient sur la tablette familiale.                                                                                                                           Moins chère. Mais uniquement dédiée aux enfants                                                           Plus sûre. Mais peu diversifiée car limitée à l’offre Gulli                                                     Plus solide. A moins qu’il ne suffise aux fabricants de tablettes de proposer des coques.

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Références :

http://bernardthomasson.com/2012/03/16/peur-du-livre-numerique/

Impressions numériques, Jean Sarzana aux éditions Publie.net

Témoignage de Gwennaëlle Le Cocguen, directrice internet et nouveau usages chez les chaînes Lagardère Active recueilli lors des conférence du MÏCE au salon jeunesse Montreuil

Du livre à l’e-book chez les 3-12 ans

En Europe, 21% des 4/5 ans peuvent se servir d’un smartphone, 30% d’une tablette. Dans ce paysage numérique, on s’inquiète pour le livre papier. Même l’édition a récemment opté pour l’e-book que l’on retrouvera sous deux formes : le livre numérisé du papier et l’oeuvre nativement numérique. De la page à l’écran, quels impacts sur la production, la diffusion et l’appropriation des contenus ? J’interroge auteurs, illustrateurs, éditeurs et diffuseurs à ce sujet pour brosser un panorama des usages de l’ebook et des transformations qu’il induit.

Bâtir, c’est actualiser du virtuel

INTRODUCTION LEXICALE

Cette courte introduction tente de préciser la définition de termes que nous employons quotidiennement et dont le sens reste souvent confus. Pour ce faire, je m’appuie sur le papier de Marion Roussel, doctorante en architecture au GERPHAU, intitulé « Actuel / virtuel, introduction à une problématique architecturale » disponible sur le site DNArchi.fr « http://dnarchi.fr/culture/actuelvirtuel-introduction-une-problematique-architecturale/

Partons d’un premier lieu commun, celui de la synonymie entre « virtuel », « numérique » et « internet ». Il est important de savoir que le virtuel n’est pas intrinsèquement lié au numérique. Pierre Lévy explique « L’arbre est virtuellement présent dans la graine. » Dans ce cas, le virtuel est bien réel cependant il n’est pas actuel, il est une puissance en devenir. Aussi, Marion Roussel déplace-t-elle l’opposition virtuel/réel à celle du virtuel et de l’actuel. G. Deleuze partage cet avis et ajoute « le virtuel doit être défini comme une stricte partie de l’objet réel ».

VIRTUEL/ACTUEL ET ARCHITECTURES

Rattachons cette introduction aux architectures virtuelles ou cyberarchitectures initiées dans les années 90 par Marcos Novak. Pour cet architecte, le cyberespace est le moyen de construire en s’affranchissant des contraintes physiques. L’architecture virtuelle est une stricte partie du programme informatique bien réel. Et tout comme on ne voit pas l’arbre dans la graine observée, on ne voit pas l’architecture mais son image quand on regarde l’écran de l’ordinateur. Et puis la graine devient arbre et, l’architecture virtuelle tend à s’actualiser dans le monde matériel. C’est ce que M.Novak appelle l’éversion. « L’éversion (…) est le retournement de la virtualité de telle sorte qu’elle n’est désormais plus contenue dans les technologies qui la supporte mais est renversée dans notre milieu et projetée sur nos architectures et nos villes » Marcos Novak, « Transarchitectures and hypersurfaces, operations of transmodernity », AD, 1998, p.86transarchitecture

Dans un environnement eversé, les technologies sont utilisées non plus comme simples outils de représentations mais comme outils de création. F.Gehry par exemple utilise le logiciel Catia Digital project développé par F.Gehry Technologies pour résoudre la complexité des structures et permettre l’élaboration d’un répertoire formel inédit.           Plus récemment, La Non Linear Solutions Unit a mis au point des modèles numériques d »innovation combinatoire » pour « formaliser une réponse à un problème et optimiser les performances » explique Caterina Tiazzoldi, directrice du laboratoire NSU de l’université de Columbia.

CONCLUSION

L’architecture réagit aux changements techniques qui surviennent. La virtualisation permise auparavant par l’imagination est aujourd’hui augmentée par les technologies numériques qui bouleversent profondément les modèles de conception et conduisent à de nouvelles formes d’architectures.

 

 

Sources :

http://dnarchi.fr/culture/a-la-couture-des-mondes-transarchitecture-et-hypersurfaces-une-introduction/

http://dnarchi.fr/pratiques/le-modele-comme-acte-creatif-et-innovation-combinatoire-le-projet-onion-pinch

http://lab-au.com/#/theory/article_algorithm-and-lig/

« Actuel / virtuel, introduction à une problématique architecturale » disponible sur le site DNArchi.fr « http://dnarchi.fr/culture/actuelvirtuel-introduction-une-problematique-architecturale/