L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »?, texte d’Aurélie Marchal, 5/7, La 27ème Région

L’approche collective du design d’organisation : la 27ème région, fondée en 2008

 

La 27ème région est le laboratoire d’innovation publique des Régions de France. Son objectif est de faciliter l’innovation en s’appuyant sur des méthodes participatives expérimentales par le design.

La 27ème région a lancé en 2009 l’opération « Territoire en Résidences ». Il s’agit d’une série de projets menés en résidence, en immersion durant 3 semaines, dans différents lieux et sur des thèmes liés aux compétences régionales.

Le défi de la 3ème résidence intitulée « Laboratoire d’innovation régional » était d’expérimenter la collaboration de designers, de chercheurs en sciences politiques, d’élus et de leurs collaborateurs du conseil régional du Pas de Calais.

Les questions à explorer étaient : Comment l’élu-e constitue-t-il son environnement de travail ? Comment s’organise-t-il ? Comment travaille-t-il avec ses différents collaborateurs, ses homologues, les citoyens ? Peut-il exister des méthodologies de travail à destination des élus ?

Pour y répondre, l’équipe s’est appuyée sur deux outils spécifiques du design :

  • La mise en forme des données : cartographie des réseaux de collaborateurs

Il s’agissait de montrer la part d’invisible, à partir d’illustrations, de schémas et de dessins pour rendre compréhensible un processus administratif ou un ensemble de données.

Par exemple, les réseaux d’acteurs constitués autour d’un élu ont été cartographiés avec des pictogrammes représentant chaque famille d’acteurs. Cette vision d’ensemble est devenue un outil pour la gestion de projets, permettant aux résidents de mieux situer leurs interlocuteurs et leurs enjeux, et de visualiser l’impact potentiel de leurs propositions de projet sur les réseaux existants.

  • Le prototypage rapide d’idées-projets et leur évaluation

La démarche itérative a pour vocation d’éviter de formuler des idées décontextualisées et d’avancer trop longuement dans de mauvaises directions.

Réaliser ou même prototyper de façon réaliste les projets n’est pas toujours faisable dans le cadre des résidences. Pour tester cependant les possibilités auprès des utilisateurs, les designers ont simulé les projets à l’aide de photomontages très simples qui ont permis à leurs interlocuteurs de se projeter dans les usages.

Alors que l’évaluation classique examine après-coup la qualité du cadre logique – c’est à dire l’interdépendance entre objectifs / réalisations / moyens / effets attendus -, le design l’anticipe dès la conception et résonne par amélioration incrémentale essai / erreur.

http://fr.slideshare.net/27eregion/livret-npdc-laboratoire-innovation-regional

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L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »?, texte d’Aurélie Marchal, 4/7, Apple

Apple, Cupertino, fondé en 1976

Il est incontestable qu’Apple n’est pas un modèle en termes de management bienveillant de ses salariés. Steve Jobs était connu pour être un tyran colérique exigeant la dévotion de ses salariés. Ces derniers en retiraient malgré tout une certaine satisfaction liée à la nature passionnelle de leur relation avec un génie. Pourtant, il est intéressant de souligner à quel point l’organisation d’Apple, érigée comme modèle d’entreprise à la pointe de l’innovation et sur-performante, incarne les valeurs du design chères à William Morris.

  • La vision commune et le plaisir au travail

Attesté par différents témoignages de salariés d’Apple, leur plaisir au travail est lié au fait de s’engager de manière extrêmement passionnée (avec ce que la passion permet d’encaisser en termes d’insatisfactions) dans la quête menée par Steve Jobs.

  • La liberté créative : l’expérimentation et le droit à l’erreur

Le niveau d’exigence de Steve Jobs impliquait pour ses collaborateurs d’effectuer de nombreuses expérimentations. S’il était très colérique, le droit à l’erreur était néanmoins accepté tant qu’il n’était pas satisfait par ce qui lui était proposé.

  • Des équipes impliquées et avec un fort esprit de coopération

Les anciens de l’équipe Mac avaient appris à se rebeller. S’ils maîtrisaient leur sujet, Jobs pouvait tolérer une petite mutinerie.

« Malgré  ses remarques déplaisantes, Jobs savait insuffler à l’équipe un esprit de corps.»[1]

  • Le produit avant le profit

« Ma passion a été de bâtir une entreprise pérenne, où les gens étaient motivés pour fabriquer de formidables produits. Tout le reste était secondaire. Bien sûr, c’était génial de réaliser des profits, parce que cela nous permettait de créer de bons produits. Mais la motivation est le produit, non le profit ».[2]

  • La recherche de la perfection artistique

Inspiré par le Bauhaus, Steve Jobs avait un niveau d’exigence esthétique très élevé. Son souci esthétique était celui de l’artiste pour son œuvre d’art.

« L’esthétique et la qualité doivent être les maîtres mots jusqu’au bout.  Les artistes signent leur œuvre. »[3]

  • L’exigence d’humanisme pour ses produits

 « Si Apple interpelle les gens, c’est parce que mon innovation recèle une grande part d’humanité ».[4]

iMaciPad  happy birthday S. Jobs


 

[1] Walter Isaacson, Steve Jobs, Paris, Editions J.C. Lattès, 2011, p. 174.

[2] Walter Isaacson, Ibid, p. 126.

[3] Walter Isaacson, Ibid, p. 165.

[4] Walter Isaacson, Ibid, p. 160.

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L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »? Jean Prouvé, texte d’Aurélie Marchal, 3/7

I. Les grands designers et leurs organisations

  1. 2. Les ateliers Jean Prouvé, Maxeville, fondés en 1931

Jean Prouvé, né en 1901, est un designer autodidacte, il commence par apprendre la ferronnerie d’art en 1919. Cinq ans plus tard, en 1924, il décide de monter son propre atelier à Nancy, dans lequel il réalise ses premières œuvres pour des clients privés.

L’atelier de Jean Prouvé est organisé selon les principes suivants :

  • La participation des ouvriers à la conception 

À l’heure où le taylorisme divise les tâches et fait de l’ouvrier un simple exécutant, Jean Prouvé est convaincu que les ouvriers doivent participer au processus de création et suivre l’exécution d’un produit d’un bout à l’autre de la chaîne.

  • Le prototypage

Il ne conçoit pas la production sans amélioration constante des produits par la manipulation.

  • La gestion humaniste et le plaisir au travail

Il constate aussi que la fabrication immédiate d’un projet ébauché sur papier engendre une satisfaction et une motivation essentielles chez les ouvriers, et même un plaisir au travail, et il veille à ce que les ouvriers travaillent dans les meilleures conditions possibles.

  • La mise en forme des objectifs

Prouvé a également développé des outils simples mais efficaces de suivi des tâches par rapport à leurs objectifs. Ces outils pourraient aujourd’hui être qualifiés de design d’information.

« Les compagnons en entrant dans l’usine le matin voyaient le travail progresser. Ils savaient que si le trait rouge n’atteignait pas le trait bleu, c’était un bénéfice, et que tout trait rouge qui dépassait le trait bleu les ramenait au salaire normal. Je vous assure que les traits rouges étaient toujours en retrait et que ça marchait très bien. C’était un système qui permettait à l’exécutant de devenir intelligent. »1

  • La mise en forme du corps social par la ritualisation

Chaque 1er décembre, les employés organisaient un grand banquet en l’honneur de la Saint-Éloi, patron des ferronniers, auquel ils conviaient leur chef et son épouse.

La chute provoquée par la culture industrielle capitalistique

Les Ateliers Jean Prouvé, parvenus à un fonctionnement semble-t-il idéal, périclitèrent cependant à l’arrivée d’un nouvel actionnaire principal dont le management était focalisé sur la rentabilité.

Jean Prouvé au travail

1 Jean Prouvé par lui-même, Paris, Editions du Linteau, 2001, p. 34

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L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »? William Morris, texte d’Aurélie Marchal, 2/7

 I. Les grands designers et leurs organisations

  1. 1. Morris & Co, Londres, fondé en 1861.

William Morris, fondateur du mouvement « Arts and Crafts  », est unanimement reconnu comme le principal acteur de l’émergence du design, en Angleterre à la fin du 19ème, en tant qu’approche humaniste de la création industrielle.

Cherchant à lutter contre les effets secondaires de la révolution industrielle, il pose les fondations du « design d’organisation » :

  • L’humanisme

  • Le plaisir au travail

  • Le travail collaboratif

  • Le partage du sens

  • La liberté créative

  • Une quête de qualité et d’esthétisme

  • Une vision commune au-delà des dualités

William Morris fait l’apologie de la beauté et du plaisir au travail. Cette recherche est pour lui très naturelle. Nos besoins vitaux ne se rassasient-ils pas généralement et positivement dans le plaisir, contrairement aux valeurs de souffrance et douleur héritées de notre culture judéo-chrétienne ?

Selon lui, le commerce et l’industrie gâchent de nombreux talents et sont aliénants, au sein des industries elles-mêmes mais aussi au sein de la société parce que leurs objectifs de profits individuels ne tiennent pas compte de la qualité des marchandises vendues, ni des personnes à qui elles s’adressent.

William Morris se demande donc à quoi sert tout ce progrès technique si ce n’est pas pour rendre le monde plus heureux. Le rôle de l’artiste est par conséquent de montrer l’exemple : le travail peut être source de plaisir.

« Nous nous sommes souvenus de ce que la plupart des gens ont oublié à force de se consacrer à la fabrication stérile et fastidieuse d’ersatz : il est possible d’être heureux, le travail peut être un plaisir, l’essence du plaisir réside dans le travail s’il va dans la bonne direction et si l’entraide est son moteur.»1

 atelier Morris & Co

Un atelier de Morris & Co

papier peint Morris

Exemple de la production de Morris & Co

1 William Morris, L’art et l’artisanat, Paris, Editions Payot & Rivages, 2011, p. 45.

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L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »? 1/7

Après le travail de Micaela Rava sur la ritualité, nous présenterons durant les prochaines semaines des extraits de celui d’Aurélie Marchal sur le design des organisations.

Premier post : une introduction au sujet et aux designers d’organisation qui font ensuite chacun l’objet d’un texte présentant leur approche. Le sommaire des textes qui seront publiés ici est donc aussi une proposition éditoriale pour un potentiel livre sur le design d’organisation, qui prendrait alors son indépendance par rapport à notre projet de publication collective sur le design engagé. Avis aux éditeurs avisés !

L’amélioration du monde du travail par le « design d’organisation »?, par Aurélie Marchal.

Grâce à sa posture empathique et à ses techniques dérivées de l’ethnographie, le designer s’efforce de comprendre de manière approfondie les personnes de son champ d’étude et s’interroge sur le sens de leurs actions. Par la mise en forme de ses intentions, le designer dispose par ailleurs de la faculté de suggérer de nouvelles pratiques, et donc de perturber le pouvoir établi pour en proposer des fragments à de nouveaux acteurs.

Ramené au microcosme qu’est le monde du travail, le designer est donc en mesure de proposer de nouvelles formes de travail, qu’ils s’agissent de nouveaux outils mais aussi de nouvelles organisations.

Les organisations « designées » sont d’autant plus performantes que le designer les conçoit à partir du fonctionnement et des besoins humains (en termes de bien-être, de satisfaction, de créativité, d’esthétisme, de sens, de reconnaissance, etc.) par rapport aux organisations de travail mises en œuvres à partir du seul principe, dérivé de l’industrialisation, d’optimisation des performances techniques et économiques.

Le résultat visé est double et vertueux : pour les travailleurs, un mieux-être au travail associé à une meilleure efficacité, et pour l’entreprise, une meilleure performance économique associée à une responsabilité sociale accrue.

L’histoire du design du « design d’organisation » est marquée par quelques noms célèbres: William Morris, Jean-Prouvé, Steve Jobs. Leur approche intègre « design d’objet » et « design d’organisation », et fournit un ensemble de principes et de directions prometteuses pour toutes les entreprises, qu’elles fabriquent, ou non, des objets.

I. Les grands designers et leurs organisations

  1. Morris & Co, Londres, fondé en 1861.

  2. Ateliers Jean Prouvé, Maxéville, fondés en 1931.

  3. Apple, Cupertino, fondé en 1976.

II. L’approche collective du design d’organisation

  1. Collectif, France, La 27ème région.

III. Le conseil en design d’organisation : exemples actuels

 1.  Ogilvy, Paris, Sébastien Garçin

  1. am-design thinking, Paris, Aurélie Marchal.

 

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Le design engagé. Dossier « Design et ritualité », par Micaela Rava. Dernière partie.

Nous concluons la publication de ce dossier réalisé par Micaela Rava pour le séminaire de sémiotique du design de l’ENSCI. Nous publierons progressivement les travaux, tout aussi stimulants, des autres étudiants. Un projet de publication globale est en cours, nous serons attentifs à toute proposition d’éditeur ou de contenu.

PSYTROPE, par Anne Devoret et Arthur Hoffner.

Psytrope est un « système de distributeurs divinatoires ». Placés dans l’espace public, ils fonctionnent de la même façon que des distributeurs automatiques à la différence qu’en échange d’une pièce de monnaie, l’utilisateur obtient des prédictions et amulettes. Né dans le contexte actuel d’incertitude globale, de la crise menaçante et de la fin annoncée du monde, Psytrope recrée d’une part des éléments de rituels et de divinations ancestraux en les adaptant à notre réalité technologique. D’autre part, il nous fait nous questionner sur la position de l’autorité divine ou mystique dans une société fondée sur les valeurs technologiques, où les débats sur l’intelligence artificielle prennent de l’ampleur.

Psytrope, Devoret HoffnerPsytrope, par Anne Devoret et Arthur Hoffner.

 

FOREVER, par Elger Oberwelz.

Comment représenter le moment de rupture du lien le plus symbolique entre une mère et son bébé ? « Forever » propose une nouvelle façon de célébrer l’extraordinaire moment où l’on coupe le cordon ombilical : un anneau est façonné à partir des ciseaux utilisés pour couper le cordon au moment de l’accouchement. L’objet peut être porté sur un doigt ou autour du cou comme un souvenir, un accessoire de mode, un morceau de la conversation, ou une référence subtile et élégante à l’un des moments les plus importants de notre vie.

Forever, E. Oberweltz

 

visu Forever, E. Oberweltz

 

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Le design engagé. Dossier « Design et ritualité », par Micaela Rava. 3ème exemple : « Euthanasia Coaster » de Julijonas Urbonas

Troisième exemple : « Euthanasia Coaster » de Julijonas Urbonas.

« Euthanasia Coaster » est une « machine d’euthanasie » hypothétique, qui se présente sous la forme d’un parcours de montagnes russes. Sa fonction : prendre la vie d’un être humain avec « élégance et euphorie ». Ce projet se propose de recréer le rituel médical de l’euthanasie, mais sous une forme moins froide et beaucoup plus humaine pour le patient.

Aujourd’hui et dans les pays qui autorisent l’euthanasie, les procédures pour mettre n à la vie du patient sont hautement hospitalisées et pas très différentes d’une injection banale de la médecine. Il n’y a aucun rituel spécial, et aucune signification particulière est donnée au patient, sauf des procédures légales et la préparation psychologique. Il semble que la mort s’aliène de notre vie culturelle autant que les rituels de mort disparaissent dans notre société occidentale postmoderne et laïque.

Mais si l’euthanasie est déjà légale dans certains pays, pourquoi ne pas rendre l’acte plus significatif, en le transformant en un rituel adapté au monde contemporain où, par exemple, des parcs d’attractions remplaceraient les églises et les sanctuaires avec la même capacité de produire des effets spirituels ou à des fins de développement personnel ? Dans ce projet de design critique il existe une véritable intention de le mettre en application et de le voir en fonctionnement pour le grand public, ce qui nous amène à nous questionner quant à « la possibilité d’un futur où les politiques de la technologie seront moins centralisées et plus créatives, diversifiées et démocratiques ».

euthanasia Coaster

Maquettes pour « Euthanasia Coaster », de Julijonas Urbonas

maquette Euthanasia Coaster

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Le design engagé. Dossier « Design et ritualité », par Micaela Rava. 2ème exemple : Mathieu Lehanneur, « Demain est un autre jour ».

Voici la deuxième partie du dossier élaboré par Micaela Rava sur la ritualisation comme forme de mise en relation entre engagement personnel et engagement collectif.

DEMAIN EST UN AUTRE JOUR, par Mathieu Lehanneur.

« Demain Est Un Autre Jour » se présente comme une station météorologique qui projette une vidéo de prévision de demain, ce qui permet au spectateur de faire un saut en avant dans le temps.

La pièce recueille les données météorologiques en temps réel sur Internet pour générer un tableau impressionniste du ciel futur à travers une lentille en nid d’abeille. Le projet conçu à l’origine pour l’unité de soins palliatifs du groupe hospitalier Diaconesses Croix-Saint-Simon, à Paris, a pour but de permettre aux patients de méditer sur, selon le concepteur, «les principes d’incertitude, d’inéluctabilité et de spiritualité».

Mathieu Lehanneur, demain est un autre jour

 

 

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Série « Le design engagé ». Design et ritualité, un dossier de Micaela Rava. Premier exemple : « Miscarriage Coffins » de Brigitte Coremans

Nous commençons la publication des dossiers réalisés par les étudiants dans le cadre du cours de sémiotique du design dont le thème était l’engagement.

Micaela Rava a proposé une réflexion sur la ritualisation comme forme proposée par les designers pour articuler engagement individuel et engagement collectif.

Nous publierons son dossier en plusieurs parties.

L’ensemble des travaux des étudiants constitue une base pour un projet de publication d’un ouvrage sur le design engagé. Merci de me contacter si ce projet vous intéresse.

Partie 1 : QUEL RÔLES POUR LE DESIGN DANS LA RITUALISATION DU QUOTIDIEN?

Cette période de crise et de changement des paradigmes invite à réfléchir sur de nouveaux enjeux pour le designer. Il est désormais impossible de concevoir le design comme une pratique qui n’apporterait que des solutions, toujours orientée vers le marché, et qui s’abstiendrait des questions plus complexes.

Ces moments d’incertitude demandent une réflexion sérieuse sur nos besoins de matérialiser l’irrationnel. Le designer d’aujourd’hui doit être, plus que le créateur d’objets et de services, quelqu’un qui donne du sens aux expériences quotidiennes et qui nous invite à engager une part irrationnelle de nous mêmes à travers ces activités.

Et si l’homme du passé cherchait à combler un besoin nécessaire de symbolique par le biais de rites religieux, dorénavant les (r)évolutions scientifiques et technologiques ont tendance à placer l’individu au centre.

Les signes du quotidien étant la matière première dont se nourrit le designer, ce pourrait être son rôle de proposer des nouveaux rituels qui symbolisent et répondent à des besoins spécifiques, ou de réinventer des vieux rites en les adaptant aux réalités technologiques et aux questions éthiques de notre époque.

Premier exemple : MISCARRIAGE COFFINS de Brigitte Coremans.

Dans de nombreux pays, les enfants morts avant la naissance et âgés de plus de 24 semaines reçoivent une sépulture officielle et sont enregistrés à l’état civil. Enterrer un foetus âgé de moins de 24 semaines représente une démarche nettement plus complexe d’un point de vue légal. Ce sont ces difficultés qui poussent probablement de nombreuses mères victimes de fausses couches à laisser leur enfant à l’hôpital. Il y obtiendra une crémation, sera utilisé à des fins de recherche ou partira directement aux ordures.

Alors que l’on débat vivement autour de la question « quand et où la vie humaine commence-t-elle?», il est légitime de réfléchir à la place donnée aux besoins émotionnels des parents. Ce sujet est trop souvent négligé et traité en silence.

« Coffins for the Stillborn » est un projet conçu par Brigitte Coremans. C’est une série de six cercueils de tailles différentes où chaque cercueil fait référence à une étape dans le développement du foetus, de la première à la 24e semaine de grossesse. L’objet offre la possibilité aux parents de matérialiser le moment de la perte, et leur permet alors de prendre part au processus de deuil ouvert. Ils ont le choix de le ritualiser à leur façon. Si les statistiques qui visent à déterminer un début de la vie humaine sont nécessaires d’un point de vue juridique, nos réalités émotionnelles ne sont jamais aussi absolues.

coffin for the Stillborn, Brigitte Coremans

Prototypes de « Coffins for the Stillborn », de Brigitte Coremans

miscarriage coffin prototype, Brigitte Coremans

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Debrief de l’intervention au Master Pro « Innovation by design » de l’ENSCI

  Le 8 novembre dernier j’ai donné un cours d’une journée aux grands étudiants du Master Pro Innovation By Design. Le sujet – la sémiotique du design – étant assez vaste, nous avons parfois été un peu rapides sur certains points, afin d’alterner théorie, exercices collectifs et moments de discussion. 

Je vous propose donc de tenir ma promesse : proposer une définition de la sémiologie et la sémiotique (basée sur mon observation des usages actuels de ces deux mots).

La sémiologie est le plus souvent utilisée pour décrire un type de raisonnement déductif, se basant sur une grille figée de relations entre signifiants et signifiés pour analyser la signification d’un objet. Ainsi, la sémiologie médicale consiste à faire le meilleur diagnostic possible à partir de tous les signes observables.

La sémiotique a l’objectif plus ambitieux de synthétiser les approches sémiologiques particulières pour dégager les lois générales de fonctionnement des processus signifiants. Ses hypothèses doivent pouvoir être testées sur tout ce qui fait sens.

Parmi les sujets abordés, nous n’avons notamment pas eu le temps de développer la dimension haptique. Dommage, car il pourrait s’agir d’un enjeu majeur de l’innovation  par le design dans les années qui viennent. Pour rattraper cela, je vous recommande la lecture de Francis Bacon, Logique de la sensation, par G. Deleuze, qui développe une théorie originale de l’haptique que je trouve encore en avance sur les conceptions américaines en la matière. Vous pouvez également retrouver d’autres éléments bibliographiques dans un des premiers posts de ce blog.

J’ai beaucoup apprécié vos directions de recherche lors de notre atelier de l’après-midi. À partir de la contrainte créative vous demandant d’identifier des systèmes signifiants amplifiant ou réduisant nos libertés, égalités et fraternités, vous avez dégagé des scénarios de développement de certains systèmes de signes. J’en résume ici les trois orientations :

* L’émergence des sociétés numériques, qui vont concurrencer les nations et dont les systèmes de valeurs sont un enjeu global ;

* L’émergence de systèmes de valeurs d’usage, qui vont concurrencer le système quasi-mondialisé improprement nommé en français “l’argent”… Une donnée pourrait faire profondément sens : pour limiter les problématiques d’inégalité liées à l’accumulation, ces valeurs (ou “points”) pourraient avoir des durées de vie limitées et différentielles. Ces systèmes pourraient s’inspirer de nombreux exemples passés (les systèmes de fidélisation, les SEL, les tickets de rationnement, marqués négativement, mais cohérents dès lors que l’on considère les ressources comme limitées…). Cela pourrait viabiliser une forme de revenu d’existence.

* La possibilité de redynamiser le tissu social par des plates-formes d’échange intergénérationnel, chaque génération ayant actuellement des savoirs-faire très distincts, ce qui provoque, d’une part, une grande perte des savoirs-faire de la génération “papy boom”, et d’autre part, un risque d’isolement croissant tant pour les “jeunes” que pour les “vieux”.

En fin de compte, deux freins à l’innovation par le design sont apparus : d’une part, le refus par les individus comme par les groupes, d’admettre certaines vérités, qui remettraient trop en cause leurs habitudes ; d’autre part, l’utopisme, quand il oppose les systèmes au lieu de chercher à les faire évoluer.

N’hésitez pas à reprendre contact avec moi par mail, si par exemple vous souhaitez des précisions sur un concept évoqué en cours, ou si vous avez testé l’expérience synesthésique proposée par Geberit ! 

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