Diffusion des TIC et développement humain

Introduction

Les populations des pays en développement ont moins accès aux ordinateurs et à internet que celles des pays riches. Cet état de fait est souvent mis en avant par les gouvernements et les grandes entreprises, sous le nom de « fracture numérique », afin de montrer la nécessité d’équiper les Suds en matériel informatique, en infrastructures territoriales et en logiciels, pour accéder à internet. Cette diffusion des nouvelles technologies, certes profitable à ceux qui l’offrent, est-elle vraiment un vecteur de développement humain ? Dans quelles conditions les possibilités d’internet deviennent-elles bénéfiques aux utilisateurs ?

 

Références personnelles :

L’article de wikipédia sur la « fracture numérique géographique ».

La dé-construction du concept non-valide de « fracture numérique », et l’analyse des raisons de sa popularité. Par Éric Guichard en 2009.

Une explication de l’usage du terme « fracture » par le pouvoir, et une analyse de sa portée idéologique. Par Elise Vandeninden en 2007.

Article d’Ivan Deméocq sur les TIC et le développement en Afrique. Réalisé en septembre 2012 en humanité numérique à l’ENSCI.

L’observatoire des TIC au Burkina.

Un mot du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques du Burkina Faso.

 

Extrait du document de recherche universitaire

Promotion de dispositifs multimédias au Burkina Faso : pratiques, discours et stratégies d’acteurs

Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication d’Évariste Dakouré, dirigée par Philippe Quinton à l’université de Grenoble.

« Facteurs d’adhésion aux discours d’accompagnement des TIC au Burkina

La confrontation des hypothèses avec les données de terrain a permis de préciser les facteurs économiques, financiers, sociopolitiques qui amènent les acteurs, étatiques, privés et associatifs à promouvoir les dispositifs multimédias au Burkina Faso. Les deux premiers chapitres de la deuxième partie ont montré que les intérêts financiers, notamment ceux des opérateurs de télécommunication et ceux de l’État, sont imbriqués. Cela donne lieu à des conflits entre ces acteurs. L’observation du renouvellement des licences des opérateurs de téléphonie au Burkina a montré le type de conflit qui peut naître entre l’État et les acteurs privés des télécoms : telle la coupure momentanée du réseau de l’opérateur Télécel avec lequel les pouvoirs publics burkinabé ont décidé « de hausser le ton » face à ce qui peut être qualifié de lenteur de certains opérateurs quant à leurs engagements financiers avec l’État. Selon le point de vue défendu ici, on peut affirmer que cet aspect révèle un des facteurs qui amènent l’État à soutenir les discours selon lesquels les TIC amélioreront les conditions de vie des Burkinabé. Les deux premiers chapitres de la deuxième partie montrent comment le secteur des télécommunications du fait de son caractère capitalistique, de sa forte financiarisation, est source d’entrées financières importantes pour les acteurs du milieu, y compris l’État. Ce secteur étant moins développé en Afrique que dans les autres continents, cela fait de celui-ci (y compris du Burkina) un marché important pour des multinationales à la recherche de part de marché.

Au-delà de ces facteurs financiers, le travail montre l’importance d’autres facteurs d’adhésion de l’État aux discours d’accompagnement des TIC au Burkina, par exemple la création des emplois dans le domaine des télécommunications. On peut y ajouter la volonté pour l’État de montrer que ses politiques de libéralisation/privatisation dans le secteur des télécommunications (mais aussi dans d’autres domaines) ne répondent pas à des injonctions extérieures mais renvoient à une planification établie par l’État burkinabé avec l’appui de partenaires. Les analyses de la deuxième partie, montrent que pour certains acteurs associatifs notamment, les politiques publiques des TIC au Burkina sont « dictées » par des institutions d’aides au développement, entre autres. Cette conception est critiquable. Certes il a été montré que l’UE, l’UIT, le Conseil Economique pour l’Afrique (organisme onusien), pour ne citer que ces institutions, influencent les politiques publiques des TIC au Burkina. Mais pour autant, la démarche menée ici prend ses distances avec ceux qui pensent que l’État libéralise ou privatise dans le secteur des télécommunications parce qu’il est contraint, ou du moins uniquement pour cette raison. On peut affirmer que l’État burkinabé, et au-delà d’autres États africains comme ceux du Mali ou du Sénégal, trouvent leur compte dans ce libéralisme; à travers des entrées financières en termes de ventes et renouvellement de licences, en termes d’entrées fiscales ou de créations d’emplois, entre autres. Ces constats ont leur importance et conduisent à penser qu’il ne faudrait pas réduire les politiques publiques des TIC ou plus particulièrement la libéralisation du secteur des télécommunications dans des pays comme le Burkina, à l’intervention de puissances étrangères, qu’elles soient étatiques ou non. D’autres enjeux contribuent aussi à expliquer le fait que des ONG/associations alimentent les discours d’accompagnement des TIC au Burkina Faso. Il a été vu dans le chapitre 1 de la troisième partie que ces acteurs s’approprient les discours véhiculés par des promoteurs internationaux des TIC, des institutions de développement, des ONG internationales, entre autres. L’usage des TIC comme une « notion valise » par ces acteurs associatifs, les amènent à associer ces TIC à divers secteurs socio-économiques : TIC et agriculture, TIC et éducation etc., afin d’utiliser les possibilités offertes par ces dispositifs pour développer ces secteurs. Ces acteurs se sont également approprié la notion de « fracture numérique » et militent pour une vulgarisation de l’accès aux TIC. Cela a donnée lieu à la création d’un groupe TIC et télécentre regroupant un ensemble de télécentres communautaires qui œuvrent pour l’accessibilité des Burkinabé (notamment dans les milieux ruraux) aux TIC. L’appropriation par les ONG/associations des discours d’accompagnement, entre dans le cadre d’une démarche de légitimation des actions de celles-ci. Il s’agit pour elles, de justifier les apports de leurs actions de promotion des TIC pour l’amélioration des conditions de vie des personnes qui bénéficient de ces actions. Cette démarche a pour finalité, l’obtention de financement pour des projets TIC. Ce travail a montré que tous les acteurs associatifs ne sont pas logés à la même enseigne, selon qu’il s’agit d’associations ou de structures bénéficiant du statut d’ONG. En effet, ces dernières bénéficient de subventions de la part de l’État pour la conduite de leurs activités. Les ONG peuvent notamment obtenir des détaxes douanières pour l’importation de matériels informatiques utilisés pour le fonctionnement de ces organisations. Les associations de promotion des TIC n’ont pas droit à ces subventions, parce qu’elles ne répondent pas aux critères évolutifs que l’État met en place pour limiter le nombre d’attributions du statut d’ONG. Cette situation engendre deux conséquences : d’une part les associations sont limitées dans leur possibilité de vendre du matériel informatique et/ou des terminaux de téléphonie, à bas prix pour l’équipement des populations. Et d’autre part ces associations sont aussi limitées dans la possibilité d’importer des équipements de seconde main pour créer et/ou équiper des cybercafés communautaires dans les localités rurales notamment. Ce travail a permis de distinguer deux types de rapport entre les ONG/associations de promotion des TIC et l’État burkinabé. D’un côté cet État entretient des relations privilégiées avec les structures ayant un statut d’ONG, parce que l’État estime que leurs actions complètent avantageusement les plans et programmes de développement du gouvernement. En outre les autorités administratives considèrent ces ONG comme des partenaires privilégiés parce qu’elles disposent de moyens financiers, humains et techniques pour mener des actions qui auraient un impact concret sur les populations. D’un autre côté l’État burkinabé soutient les associations de promotion des TIC (celles qui n’ont pas le statut d’ONG) en leur offrant (par exemple) des salles équipées pour des formations, mais ces associations reçoivent moins d’aides de la part de l’État comparé aux bénéfices dont peuvent jouir les structures au statut d’ONG. Il est apparu aussi que les types de relations que l’État entretient avec les acteurs associatifs au Burkina sont similaires à ce qui se passe au Mali. Cependant, au Sénégal, la situation est différente. Dans ce pays, certains acteurs associatifs sont plus étroitement liés à la conception et à la conduite des politiques publiques des TIC que dans les deux premiers pays cités. Même s’il convient de préciser qu’au Sénégal aussi, certaines associations n’ont pas de relations privilégiées avec l’État. Ce travail s’est intéressé aux ONG/associations de promotion des TIC au Burkina, au Mali, et montre en quoi elles rencontrent des difficultés dans le financement de leurs activités. La fin de la période de projet, ou le manque de moyens financiers de certains bailleurs, constituent une difficulté majeure que rencontrent ces acteurs associatifs. Cet aspect, conjugué avec le peu de soutien que l’État burkinabé apporte aux associations de promotion des TIC, pourrait retarder davantage l’accès aux dispositifs multimédias, en particulier dans les milieux ruraux burkinabé. Les enquêtes de terrain ont permis de caractériser les diverses médiations que les dispositifs multimédias permettent dans le cadre de l’organisation et du fonctionnement des ONG/associations. On peut considérer cela comme faisant partie des facteurs d’adhésion de ces acteurs aux discours d’accompagnement des TIC. En effet, ces acteurs sont à la fois promoteurs et utilisateurs de ces dispositifs. Il convient de noter que les projets menés par ces acteurs leur permettent aussi d’acquérir des équipements pour leur propre utilisation. Par ailleurs les associations bénéficient de formations pour une meilleure appropriation des TIC. »

 

Ce que j’en retiens

Ce que j’en pense

Sous couvert de « fracture numérique », de réduction des inégalités d’accès aux technologies, de nombreux acteurs (états, entreprises multinationales, organisme de l’ONU) mettent en oeuvre des stratégies de diffusion. La relation entre ces acteurs sont complexes mais suivent toujours une logique capitaliste. On présente souvent les nouvelles technologies comme facteur de développement humain, sans poser la question de la pertinence des dispositifs dans leur contexte. Il semble pourtant qu’une adéquation avec des dynamiques sociales pré-existantes soit nécessaire. Le dispositif doit répondre au besoin de quelqu’un, sinon il ne sera pas utilisé, et n’aura aucune influence sur le niveau de développement.

D’un point de vue stratégique, la diffusion de TICs dans les pays en développement ne m’apparaît pas toujours pertinente. Si Cisco System voulait contribuer au développement du Burkina Faso, il ferait mieux de construire des écoles, au lieu de former les rares lettrés au métier d’administrateur réseau. D’un point de vue tactique, il apparaît évident que les dispositifs socio-techniques doivent être pensés pour un contexte donné, une certaine région, une certaine partie de la population. Actuellement, on a plutôt l’impression que des dispositifs inadaptés sont diffusés, et qu’ensuite on pointe leurs « mauvais usages ». Cela qui me semble très hypocrite.

Il semble difficile pour un designer de se placer comme stratège dans ce genre de problématique, tant le pouvoir à contrer est puissant. Du coup, d’un point de vue tactique, on pourrait aller dans le sens de ce travail de recherche, qui préconise l’emploi de modalité orale dans l’accès à l’information, et la production de contenu en langue locale. En effet, internet est une formidable source de connaissances transmissibles oralement, par le son et vidéo, mais le mode d’accès se fait par des recherches écrite…

Pour conclure, je dirait qu’en tant que citoyen, je n’arrive pas à imaginer des projets de design qui rendent accessible internet à des analphabètes. En revanche, j’ai beaucoup plus de facilités à imaginer des projets de diffusion, à grande échelle, d’établissements scolaires.

Paul Morin