VERS UNE MATÉRIALISATION DE LA LOGIQUE INTERNET 

La fiction constitue un berceau fertile de l’imaginaire architectural, politique et économique que nous avons du paysage urbain prospectif.

Entre utopie, dystopie, uchronie comment repenser l’application d’Internet dans un monde proche et pourtant déjà presque contemporain ?

D’une cartographie vaste des aspects que revêt l’imaginaire, P. Musso retrace son caractère bipolaire, à la fois positif pour le progrès technologique (tirée et inspirée par la fiction) et négatif (aliénation de l’homme par la machine). Celui-ci s’exprime par ailleurs dans les univers virtuels, ayant fait l’objet de nombreuses études (G. Thuillier, M. Beauchamp) mais montrant l’idée que ce phénomène encore assez jeune ne peut produire d’études à long terme.
Ainsi, M. Giget interroge la question de la cité idéale à l’heure où internet favorise pour nombre de personnes le délitement du lien social et de la pensée pragmatique.

Cités Collines interroge cette notion en proposant un plan de voirie visant une création en open source de villes. Politiquement démocratique, conjoncturellement participatif ce système façonnerait un espace urbain à l’échelle de ses usagers, chacun apporterait sa pierre à l’édifice.
Penser le futur, ce n’est pas associer matériel et immatériel, fictif et réel, idéalisme et pragmatisme, c’est établir un réseau de transferts, de possibilités, entre ces champs.

Ce fonctionnement en réseau, interconnecté entre les acteurs, la disparition de la frontière entre utilisateurs/concepteurs/pouvoirs publics interrogent les relations entre l’internet 2.0 et la réalité effective.

Références

http://www.senat.fr/rap/r09-510/r09-5103.html

http://www.carnetsdegeographes.org/PDF/Rech_02_03_Thuillier.pdf
Relation entretenue par la fiction, les espaces virtuels et leur intersection, par Guy Thuillier in Carnets de Recherches

http://www.erudit.org/revue/hphi/1999/v9/n2/801123ar.pdf
Fiction / Illusion : Frontière, Allégorie de la Caverne, Platon, La République Livre VII

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ubik

Ubik, P. K Dick

http://carnetsdegeographes.org/carnets_debats/debat_02_01_Edito.php
Approche géographique des espace virtuels, M. Beauchamp Carnets de géographes

L’imaginaire des techniques, par Pierre Musso, professeur à l’Université de Rennes 2,
Co-auteur de Fabriquer le futur 2. L’imaginaire au service de l’innovation, Village Mondial, 2006.
« A toute technique est associé un imaginaire qui est la réalisation de représentations sociales. L’imaginaire étant structuré comme un langage, il est possible de le travailler comme un matériau, notamment en amont des processus d’innovation. »

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cyberespace
Notion de Cyberspace, W. Gibson

http://www.unidivers.fr/cantine-numerique-rennes-jeu-video/
Étude des comportement liés à Internet et des relations sociales, in Approche clinique des techno-imaginaires, Y. Leroux

Réflexion sur l’espace et le temps à l’heure d’internet, Antoine Grumbach, Penser les villes du futur : utopies ou réalités ?
http://www.senat.fr/rap/r09-510/r09-5105.html

DATAVIZ

Intervention de Marc Giget « Vers des cités idéales où des cités invivables » dans le cadre de l’atelier du Sénat le 29 Avril 2010

Constat historique

« Je ne suis pas spécialement prospectiviste. Mais je fais des études prospectives à but plutôt d’anticipation et d’application ; notre institut est en effet orienté vers l’innovation, donc vers la recherche de solutions et de propositions. J’ai fait des travaux longs sur une cinquantaine de villes qui ont marqué l’Histoire en termes d’innovations comme Babylone, Carthage ou Persépolis, ville fantastique, qui a été une sorte de « living lab’ » de Darius. Les villes innovantes ont toujours été des coeurs de réseaux. Comme Carthage, les villes de Mésopotamie, les villes des routes de la soie, Alexandrie, Rome. Toutes étaient des villes « ouvertes » situées à l’interface de plusieurs mondes. Réseaux ouverts, mais aussi creusets d’échanges, c’est-à-dire disposant d’une personnalité, d’un lieu où les gens se rencontrent, travaillent ensemble, comme on l’a eu à Paris à sa grande époque avec le Quartier Latin ou comme le furent les villes allemandes universitaires.
Les villes qui ont le plus marqué l’Histoire sont des villes où ce n’était pas juste une municipalité qui imposait ses vues, mais où les gens aimaient se retrouver pour créer, innover, entreprendre, parce qu’elles étaient plus ouvertes que d’autres. Dimension interculturelle internationale, toujours. Quand des villes se sont refermées, interdisant la présence des étrangers, l’innovation n’a plus fonctionné. »

L’utopie comme moteur de l’innovation

« Les grandes avancées ont toujours été préparées par l’utopie. L’utopie permet de dire : je vais définir quelque chose d’idéal, sans contrainte, je laisse aller jusqu’au bout ma réflexion, je redéfinis.

On a dans le passé défini des cités idéales qu’on a essayé de réaliser. On a eu certaines villes qui ont marqué l’Histoire au niveau de l’idéal. Actuellement, on a de nouvelles valeurs, des technologies nouvelles, une révolution écologique, etc. D’où l’intérêt de repenser à ce que pourrait être la cité idéale dans la même logique que celle qu’on a eue à la Renaissance. Reconcevoir la cité idéale permet de faire de l’étude, de la recherche et de modéliser avant d’appliquer.
Je vais vous présenter maintenant un projet qui s’est développé depuis une trentaine d’années et qui s’appelle « Cités collines ». C’est une réflexion prospective sur le futur de l’habitat humain, une réflexion qui est maintenant intégrée dans un travail de prospective baptisé « Expérience 2035 » puis « Expérience 2040 ». Ce travail de prospective porte sur la vie quotidienne dans une génération. Pourquoi une réflexion à trente ans ? Parce que trente ans c’est le temps d’une génération. C’est se demander comment vivront nos enfants dans trente ans.
Ce qui nous intéresse dans les grandes périodes du passé, ce sont par conséquent ces constantes qui reviennent dans l’organisation de la vie. Quelques axes nous ont intéressés. Je simplifie à l’extrême, non point parce que je suis simplificateur, mais parce que je n’ai pas le temps de tout développer. »

Développement du projet

« Quel est l’intérêt des collines ?
C’est de créer l’habitat individuel, de multiples terrasses, des jardins, etc. comme le sont les cultures en zones de montagne. Les cultures végétales et minérales s’insèrent naturellement dans un tel projet. Les tours rassemblent les activités professionnelles, – bureaux, hôtels, services publics -. Les grandes infrastructures, théâtre, cinémas, équipements sont au coeur des collines avec des parties internes ou externes. L’habitat ressemble à celui de la campagne, tout en étant au coeur de la ville.
On en trouve déjà un exemple au Mexique, pas loin des pyramides mexicaines. Quand vous êtes dans la maison, vous pouvez descendre, soit par l’ascenseur, soit par le sentier extérieur. C’est-à-dire qu’on gère la relation à l’espace en utilisant des biais qui ne sont jamais dans l’architecture si on fait vertical ou horizontal. L’objectif du projet est de réfléchir sur l’insertion harmonieuse dans la nature d’habitats humains qui seraient dans la logique des formes naturelles, en ayant l’avantage, pour une même quantité de population, d’avoir une surface au sol vingt fois inférieure à celle d’une ville actuelle, tout en ayant une grande qualité de vie puisqu’il y a ce problème de densification.
Le regroupement decités collines pourrait se faire avec la création d’un espace central qu’on appelle « caldera centrale », un lieu de la vie où ça chauffe et où on peut utiliser les parties hautes pour des activités collectives. C’est bien qu’à 800 mètres les enfants aillent goûter ou jouer. Quand vous faites un centre aéré, vous avez à la fois l’altitude connectée à l’habitat. L’autre côté des collines, c’est l’espace de calme et d’habitat individuel. D’un côté la ville, d’un autre côté la campagne, comme on a un côté cour et un côté jardin. »

Repenser le réseau à l’heure d’internet

« L’aspect des réseaux, c’est une question fondamentale quand il y a rassemblement des villes. Est-ce que le réseau ne rend plus nécessaire la ville, puisqu’on peut se rencontrer sur Internet en permanence ? En fait, ce n’est pas vrai. La rencontre physique est fondamentale entre les talents. Pourquoi mettre si loin ? Mettre loin a un avantage. Si on ne met pas loin, on voit comment on va transformer le périphérique, comment on va transformer un quartier.

Quand on voit aussi loin, on dit : quel est l’idéal vers lequel on voudrait arriver ? On part donc vers un idéal. Et on dit : peut-on commencer à le construire aujourd’hui ? On inverse les choses.
Les architectes très écolo mettent des montgolfières, des vélos partout. Ce n’est pas la densité qui est alors recherchée. Le schéma de base, celui que j’ai présenté à Curitiba ou dans d’autres pays du monde, est plutôt celui d’une ville faite de cités creuses avec une caldera centrale, et des établissements autour, qui permet de rassembler un habitat dans des tours avec des formes plutôt naturelles et des coupoles supérieures et avec une connexion qui peut être assurée avec une station centrale à l’intérieur. On est dans des distances tout à fait intéressantes pour la vie quotidienne. Les gens vivent essentiellement à l’extérieur, un peu comme on le voyait sur la colline tout à l’heure, et le centre-ville qui est vital, en est la clef. Si on regarde un peu ce que nous propose la nature avec l’image d’un volcan vu par satellite, le projet en est proche avec la caldera centrale et les structures autour qui lui donnent cet aspect de centre de vie. Il y a aussi des conceptions des plateformes supérieures des bâtiments verticaux avec les avantages qu’ils ont.  »

Un projet ouvert et participatif

« Le projet est devenu un projet ouvert international en open source, un peu comme Wikipédia ou Firefox. On l’a présenté en disant : c’est une structure simple avec 10 à 15 % d’éléments communs de référence pour interfacer les modèles de conception assistée par ordinateur. Il faut en outre que chacun puisse s’y connecter pour dire : « moi, je fais un opéra, je fais des villes, je m’intéresse à l’écoulement des eaux, je m’intéresse à la vie quotidienne, je m’intéresse à la vie familiale, je m’intéresse à la structure, je m’intéresse aux éléments en porte-à-faux en titane en haut ». C’est un travail de réflexion collective comme le sont maintenant tous les projets mondiaux réalisés en open source. Donc plateformes communes et des noeuds de compétences.

Certains s’interrogent : « Mais quelqu’un concevrait tout ? » Non, on envisage, on essaie que ce soit 8 à 12 % d’éléments d’interfaçage. Si vous allez dans une ville pour faire un tour ou quoique ce soit, il y a un Plan d’Occupation des Sols. Il y a besoin que vous vous connectiez aux réseaux, à l’eau, il y a donc des règles. On essaie que les règles soient les minima possibles pour qu’il y ait une très grande liberté. C’est anarchique une ville, chacun fait son bâtiment à un moment donné. Quand l’un est foutu, il en fait un autre. Ça se reproduit comme ça, de proche en proche, pour qu’on ait un équilibre entre vision collective de l’intérêt de vivre ensemble, etc. et extension.

Voilà, présenté à la hache, le projet « Cités collines ».

Commentaire

On pourrait croire que penser l’avenir c’est penser un univers virtuel évolutif généralisé, une perte d’identité amenant une approche schizophrénique du lien social. Cette vision dystopique ne saurait que trop souffrir d’une croyance aliénante d’internet.

Internet c’est un terreau qui appelle la procréation ou reproduction.

Comment faire de l’utilisateur un concepteur ?

Le designer, l’urbaniste autant que les pouvoirs publics sont en phase d’entrer dans un nouveau rapport de force propice à une redéfinition de certains enjeux.
L’utilisateur doit dépasser le champ qui lui était autrefois réservé, celui d’un usager type produisant un retour du service qui lui est proposé. Sans pour autant rentrer dans dans le champ de la création, il doit admettre un investissement propice à une vision multimodale de la conception qui saurait alors sortir de la relation demande/offre et pénétrer dans un rapport démocratique et viable à la société.
Un réseau participatif permettrait-il alors de voir émerger une société du « Like », démocratie positive participative 2.0 basée sur ce qu’il advient être un principe fondateur, l’égalité, sans dériver pour autant vers la méritocratie ?

Comment le temps plus que la spatialité d’un réseau est envisagée dans son élaboration ?

Internet, par ses services tend à raccourcir la distance entre service et utilisateur. Une telle constatation peut s’observer dans le monde réel qui tendrait à s’amplifier. Si autrefois les limites d’un département étaient régies par le fait qu’atteindre le chef lieu de chacun d’entre eux devait être possible en moins d’une journée à cheval, l’urbaniste Antoine Grumbach reprend cette idée dans le développement de la mégalopole Paris/Rouen/Le Havre en pensant un quadrillage d’une heure entre chaque espace notoire.
Penser le temps comme lien primordial des divers espaces semble constituer aujourd’hui une problématique importante car traitant des questions écologiques, de fracture urbaine, et de coût.
On est donc face à une constat d’opposition : celui d’une rurbanisation et d’une démographie croissante.
Comment un accroissement démographique couplé à une volonté de loger les habitants au plus proche des services peut-elle s’exprimer ?
Marc Giget proposerai un système de tour centrale de services et de satellites d’habitation.

Penser un monde prospectif est-ce rompre avec le monde d’aujourd’hui ?

Tant au niveau urbanistique que du design, une rupture est-elle le bon moyen pour réaliser les enjeux d’aujourd’hui ?

Détruire pour mieux reconstruire, est-ce la solution ?

Tom Formont

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