« Histoire de crottes »

Source: Journal « Le temps » du 4 avril 2012. Article par Lucia Sillig.

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Le Muséum de Genève invite à plonger dans ces mines d’information que sont les déjections

Il y a les chiures de mouches, la merdoie d’oie, la moquette de chevreuil, les fumées de cerf ou la laissée de renard. Les crottes peuvent être informes ou moulées, voire même parfaitement cubiques. Armes de guerre, garde-manger ou lien social, elles remplissent toutes sortes de fonction. «Une fois la répulsion dépassée, on découvre un monde foisonnant», commente Manuel Ruedi, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève, qui inaugurait hier l’exposition KK-Zoo.

Les crottes sont des déchets à éliminer. Mais pas seulement. C’est le credo du musée. Certains oiseaux, comme le merle ou la grive, se servent de leur fiente, rendue particulièrement collante par la consommation de gui, pour bombarder les ennemis qui se rapprochent trop de leur nid, par exemple. D’autres dispersent, via leurs déjections, les graines des fruits qu’ils mangent. Celles-ci profitent ensuite de l’engrais naturel dans lequel elles ont été déposées. Ainsi, sur plusieurs générations, ces oiseaux favorisent le renouvellement de leur garde-manger.

Mais chez certains animaux, les crottes font aussi office de véritable réseau social: pour signifier leur présence, marquer un territoire, dire s’ils sont à la recherche d’un partenaire sexuel. «Chez le guanaco, le lama ou le chameau, par exemple, il existe des latrines communes, raconte Manuel Ruedi. Tous les membres d’un groupe font leurs crottes sur le même tas. En le reniflant, ils peuvent savoir qui est passé par là et quand, et récolter toutes sortes d’autres renseignements.» Sur l’état sexuel (en chaleur ou non), de santé voire même émotionnel de leurs congénères. «Si un des membres du groupe a été attaqué par un puma, il y aura des hormones du stress dans son urine», poursuit le conservateur.

Pourvus d’un odorat moins développé que les autres animaux, les êtres humains – ou du moins les chasseurs et les naturalistes – savent aussi interpréter les excréments qu’ils retrouvent au détour d’un chemin. «Dans la nature, on voit plus souvent les traces des animaux que les animaux eux-mêmes. Mais on peut dérouler toute une histoire à partir d’une crotte .» Sur la base de sa taille, de sa forme, de sa couleur et même de son odeur. «Il suffit de se baisser et de respirer», enjoint Manuel Ruedi. On peut distinguer les déjections de marte de celles de fouine parce que les premières sont plus musquées. Les crottes de loutre de rivière ont une odeur sucrée. «Ce n’est pas forcément désagréable», relève Manuel Ruedi. Il ajoute toutefois que les excréments de certains carnivores sentent effectivement très mauvais.

Ce savoir, il l’a accumulé petit à petit depuis l’enfance. «Mais si vous êtes dans les montagnes rocheuses du Canada, où il y a des grizzlys, des ours et des loups, vous apprenez très vite à reconnaître une crotte encore fumante qui signale que son auteur est encore dans les parages… Nos atavismes de chasseurs-cueilleurs reviennent au galop.»

Parfois, le naturaliste fait place à l’expert en sciences forensiques. Un mouton a été tué. Sur la scène du crime, plusieurs crottes d’allures différentes. Un loup, un chien et un renard figurent parmi les suspects. Il s’agit de déterminer quel prédateur est l’auteur du crime. C’est le travail qu’effectue régulièrement le Laboratoire de biologie de la conservation de l’Université de Lausanne, et que le musée a choisi de reproduire.

On croit avoir identifié une crotte de loup. C’est juste. Pourtant, trois autres déjections, toutes différentes, ont été produites par le même animal. «Le loup mange d’abord les muscles, puis la peau et enfin les poils. Les crottes deviennent de plus en plus grises et laineuses.» Jusqu’à ce que le canidé se résolve à manger les os et que ses excréments virent au blanc. Mais attention, il faut analyser la composition des déjections avant de tirer des conclusions. Histoire de s’assurer que la bête a bien mangé le mouton d’abord. Et afin de récupérer, ensuite, des brins d’ADN qui permettront de confondre le coupable.

Avis aux prédateurs: leurs crottes peuvent les trahir bien après qu’ils ont terminé leur repas. En effet, toutes ne se dégradent pas. Le musée exhibe un fossile d’excrément de requin, qui remonte à 200 millions d’années. Il expose aussi la réplique d’un de ces coprolithes, produit par un tyrannosaure, il y a quelque 65 millions d’années. L’analyse du fossile a révélé que celui-ci venait de manger un tricératops. Ni l’un ni l’autre ne pensaient probablement laisser une trace aussi durable dans l’Histoire.

 

«KK-Zoo», Muséum d’histoire naturelle de Genève, route de Malagnou 1, tous les jours sauf le lundi, de 10h à 17h, entrée libre.

 

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A propos Coline Fontaine

21 ans, étudiante en Création Industrielle à l'ENSCI-Les Ateliers. J'y passe ma première année, après un BTS Design Produits et une année d'études du design à Copenhague. En dehors d'une envie de découvrir l'anthropologie pour approcher les objets mis en situation du point de vue de leurs usages réels, j'ai voulu suivre ce cours pour mon intérêt pour la/les ville(s), l'espace urbain, et le mobilier qu'on y trouve : Comment vit-on entourés d'un ensemble d'objets qu'on n'a pas choisi ? Que disent-ils sur la ville?

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