Si le numérique a permis aux différents territoires, ici aux régions, de disposer d’une plus grande liberté d’action, d’augmenter leur visibilité, d’être plus attractives, ou encore de réduire certaines inégalités entre-elles, il serait déraisonné de croire à une harmonisation parfaite des ces territoires par le numérique. En effet, il existe de nombreuses limites au développement des régions par ce seul levier.
La première limite, et aussi la principale est liée aux inégalités entre régions. En effet, le budget des régions dépend de nombreux facteurs, notamment la population, le territoire, les infrastructures dont elle dispose, le nombre de lycées … Ce budget va ensuite permettre d’innover, si elle le souhaite, mais surtout de faire fonctionner les infrastructures qui sont sous sa responsabilité. Cependant, pour une région plutôt rurale avec une densité de population plus faible, le challenge du développement par le numérique va être beaucoup plus ambitieux à relever. En effet pour être attractive en complément du numérique, elle va devoir conserver et maintenir les services publics nécessaires à la vie des gens sur place, a savoir les institutions éducatives, les établissements de santé, les infrastructures locales, les services à la personne en milieu rural et d’autres exemples, tels que le bus scolaires…« Les TIC peuvent favoriser la convergence entre la logique économique et les intérêts du territoire, à condition de renforcer et de valoriser les atouts et compétences de celui-ci : face aux entreprises en réseau, les “territoires en réseau” se doivent d’être mieux maillés, plus musclés, afin de favoriser les coopérations entre acteurs, de formaliser une vision commune de l’intérêt général et de trouver des chemins pour y parvenir (la formation, les infrastructures, les services de proximité, etc.). », in INTERNET ACTU, Le défi numérique des territoires : les questions numériques sont-elles politiques? , Jacques-François Marchandise, 2007.
La seconde limite est mise en évidence par une autonomie de plus en plus attendue de la part des régions. En effet, si ces territoires deviennent autonomes, ils seront seuls décideurs des politiques à mener et de la répartition du budget selon leurs priorités. Dans ce cas, et avec des élus pouvant êtres de familles politiques différentes, le choix d’une politique numérique peut être considéré de plus ou moins grande importance. Menée en décalage avec d’autres régions, cela peut créer des inégalités importantes. On obtient alors des régions en retrait par rapport à d’autres, qui elles, sont beaucoup plus attractives. On peut citer l’Auvergne, le Limousin, ou encore la Bretagne, qui ont su être visionnaire par rapport au numérique et s’entourer d’acteurs pour mettre en place leur politique et les rendre pérennes. C’est le cas des travaux menés entre le Conseil Régional de Bretagne et DTA (Design Territoire Alternatives) sur la question du « Numérique Populaire » lors des ateliers participatifs des Etés TIC à Rennes par exemple.
http://www.design-territoire-alternatives.fr/DTA/etesTIC2011.html
Une autre limite, et non des moindres, reste l’attractivité de la capitale. Dans un système centralisé, où les infrastructures ferroviaires et routières convergent vers Paris, on remarque qu’une grande partie de l’activité, et donc des emplois, se trouve en milieu urbain. Cela prévaut malgré les subventions versées aux entreprises pour s’implanter hors Ile-de-France par exemple. De plus, 90 % de la population vit « à la ville » malgré des conditions de vie plus difficiles et un confort inférieur à celui auquel ils pourraient prétendre en milieu rural. L’attractivité des grandes villes via l’offre culturelle, l’ouverture à l’international, la vie nocturne, ou encore des services plus performants, reste encore un atout très fort. Le fait que les récentes propositions encourageant les jeunes médecins à s’implanter dans les « déserts ruraux » aient fait polémique le prouve, tous ne sont pas prêts à venir s’installer à la campagne. Enfin, avec l’essor du prix des carburants et leur raréfaction, le choix du rural devient de plus en plus difficile.
La dernière limite que j’évoquerai concerne le profil de personnes à qui s’adresse le territoire numérique et notamment le « New Deal » en Auvergne. Les régions ont investi en faveur du numérique afin d’offrir de nouveaux horizons à leurs habitants, mais pas seulement. En effet, le territoire numérique constitue un moyen de se démarquer et par ce biais, d’attirer de nouvelles entreprises et donc de nouveaux habitants. En ce qui concerne le « New Deal » par exemple, on remarque que les emplois recherchés sont très ciblés autour de l’industrie et de l’ingénierie par exemple et beaucoup moins par rapport aux arts, au spectacle, ou encore à la santé. Cette très forte spécialisation de l’offre peut constituer un atout lorsque la demande est élevée mais peut également devenir un handicap si la demande évolue.
En conclusion, on constate que numérique et territoire sont deux notions complexes. La première, bien qu’elle soit invisible, structure aujourd’hui une grande part de nos échanges, qu’ils soient professionnels, personnels ou politiques. Elle est devenue incontournable pour comprendre le monde dans le quel nous vivons et les différents rapports de force qui y sont en présence. Elle confère un grand pouvoir à qui sait comment l’utiliser. La seconde notion, celle du territoire, est tout aussi ambigüe puisque multifactorielle. C’est un domaine rassemblant des êtres humains, des espaces, des entreprises, des compétences, des capitaux et des possibles … La conjugaison de ces deux éléments, numérique et territoire, peut s’avérer très fructueuse lorsqu’elle est mise en place de manière intelligente, innovante et collective. En effet pour bien fonctionner, elle ne doit pas être déconnectée des habitants de ce même territoire, et doit donc être mise en œuvre pour mieux les servir, tout en conservant les services déjà présents.
Cependant il est pourtant difficile de parler d’une harmonisation des territoires car le numérique révèle et génère également de nouvelles inégalités. Cette harmonisation n’est que partielle pour les raisons évoquées comme limites ci-dessus. Les différents territoires devront donc encore redoubler d’efforts pour tenter de contrer ces disparités et de rattraper leur retard.
Il paraît inconcevable aujourd’hui incontournable de pérenniser la relation entre ces deux entités afin de faire de nos citoyens de véritables acteurs du monde qu’il soit économique, social, alternatif, ou encore revendicatif.