Technoscepticisme ou Comment la pensée de Jacques Ellul continue-t-elle d’être pertinente aujourd’hui ?³

         Dans plusieurs de ses livres (et notamment la trilogie sur la technique : La Technique ou l’enjeu du siècle(1954), Le Système technicien (1977) et  Le Bluff technologique (1988)), Jacques Ellul ne cessera de dénoncer la société technicienne et de mettre en avant les dangereuses dérives du progrès technologiques. Son discours est forcément daté et peu sembler dépassé car il a été soutenu à la naissance du système informatique et avant la création d’internet. Est-il toujours pertinent aujourd’hui, là où le numérique est partout ? Ses doutes et ses craintes sont ils toujours d’actualités ?

                Dans le carde de la journée du discours de l’internet qui s’est tenu le 22 octobre 2009 à l’ENSSIB (Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèque), André Vitalis, professeur à l’Université de Bordeaux 3 et Directeur du Groupe de Recherche et d’Etudes des Médias,  a présenté les travaux de Jacques Ellul et en particulier « Le système technicien » et « Le bluff technologique ». Il a montré que même si J. Ellul est décédé en 1994, son discours visionnaire s’applique à l’internet actuel.

                « Ellul se « bonifie » avec le temps » prétend André Vitalis. Effectivement Jacques Ellul est un auteur qui a été et qui reste méconnu des Français. Il a néanmoins percé aux USA où plusieurs de ces ouvrages ont été traduits et s’y est  trouvé des héritiers. En France, Il était en contraction avec son temps car il était réticent à ce que tout le monde adulait. Ellul se « bonifie » avec le temps car nous vivons au fur et à mesure les désillusions et les dédales du progrès. De plus sa pensée est mobile, dialectique et elle prend en compte les changements.

                On retrouve les notions d’ambivalence, de risque et de relation moyen/fin d’Ellul appliquées à internet dans la discours d’A. Vitalis. Certes la technique amène des progrès mais elle amène aussi des inconvénients. D’un côté internet nous offre des choses nouvelles, très intéressantes, de l’autre il nous encombre de désagréments non négligeable. Ce qui pourrait caractériser internet c’est son apport de liberté et  son surcroit de contrôle. Comme toutes nouvelles techniques, internet confronte le prévisible et l’inattendu.  Dans les années 70, il était prévu qu’internet fasse progresser la société et notamment celle de l’information, que ce réseau informationnel qui ne cesse de se développer permettrait de poursuivre la croissance économique et de sortir de la crise. Le discours sur internet voit donc dans cette technique un moyen autonome de transformation social, et par c’est réseaux eux même, de façon presque magique, vont apporter un surplus de communication, de participation. On va pouvoir mieux soigner, mieux éduquer etc.… Mais internet amène aussi de l’imprévu : dans les années 90, des chercheurs autonomes, autrement dit hackers, se préoccupent de changer le réseau à partir de valeurs nouvelles : une valeur démocratique et un accès universel, pour tous, partout, en tout lieu. Internet devient un outil démocratique, avec une accessibilité considérable et une grande interactivité où le citoyen lambda peut intervenir. Malgré cela, le revers de la société d’information c’est le contrôle. Internet facilite la participation mais permet le piratage des données de l’utilisateur. En effet, l’utilisateur de tout produit électronique ignore qu’il laisse des traces derrière lui. Ces traces sont stockées, traitées et font l’objet d’un commerce. Selon Vitalis, la gratuité d’internet ce paie d’un prix : c’est une cartographie planétaire des identités par une puissance privée indépendamment des lois « informatiques et libertés » et des conditions de contrôle. Google fiche 27 millions de Français mais n’est pas du tout diabolisé.  De tels bénéfices sont fait par ce contrôle qu’il est possible de laisser internet gratuit pour tout le monde.

                Cependant la pensée d’Ellul a des limites. Ellul prône l’autolimitation. On ne doit pas faire tout ce qui est techniquement possible de faire, surtout si les moyens dépassent les fins. L’autolimitation, selon lui, n’existe pas dans la société occidentale et c’est des contraintes externes qui nous rappellent à l’ordre telles que le réchauffement climatique, les pollutions de toutes natures etc. L’utilisation d’une technique exige la détermination de ses limites. Cependant on ne peut pas vraiment appliquer ce principe à internet et aux technologies de l’information dit Vitalis. Pourquoi fixerait- on des limites à des techniques qui offrent de nouveaux espaces d’expressions et permettent de nouvelles relations (réseaux sociaux…) ? On peut tout de même souligner que les conséquences de son utilisation sur nos perceptions, sur nos représentations et sur les processus cognitifs sont difficilement évaluables et ne seront visibles que dans une centaine d’années.

Sources :

http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-01-0077-006

http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-48108

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*