Nicolas Henchoz
« Personnes âgées » : l’expression ne vise ici pas des personnes atteintes d’une pathologie particulière. Elle désigne une catégorie de gens qui ne sont plus astreints par les exigences professionnelles à maîtriser l’évolution des technologies de l’information. Or, pour une grande majorité de ces personnes, ces technologies ne sont pas assez stimulantes dans la mesure où elles se distinguent et se vendent avant tout par leur performance et leur technicité plutôt que par leur usage. La complexité apparente prend dès lors le pas sur le sens. Il en résulte le développement d’une fracture numérique qui ne résulte ni de problèmes physiques ou mentaux. Certes, les personnes âgées possèdent naturellement des limitations physique ( rapidité et précision du mouvement, vue, etc), mais qu’elles parviennent dans de nombreux cas à compenser : leur cerveau conjuguent davantage de signaux dans des fonctions cérébrales supérieures. Les actions sont donc moins automatiques, plus réfléchies, un peu moins rapide, mais au final souvent plus précises. En d’autres termes, si une interface prend en compte les principes du design Universel, même de manière ouverte, la fracture numérique tient davantage à un manque d’adéquation entre la manière dont un service est proposé et ses utilisateurs potentiels qu’à un problème physique. Cette problématique dépasse d’ailleurs les personnes âgées pour s’étendre à une fraction plus grande de la population.
L’enjeu du workshop de ce workshop se retrouve dans ce qui semble un paradoxe : les personnes âgées rejettent souvent les interfaces conçus spécifiquement pour elles, dans la mesure où ces interfaces sont le miroir de leur condition précaire. S’y ajoute un second écueil lié à une approche trop unilatérale : comme il s’agit d’un problème sérieux, dont on peut objectiver certains paramètres physique, on confie sa résolution à la seule approche scientifique. Il en résulte des interfaces dont le langage visuel est dicté par l’ergonomie, un langage perçu comme scientifique par l’usager. Or des études montrent que la complexité réelle de l’objet a bien évidemment une influence, mais que le stress perçu, subjectif, est tout aussi important. Autrement dit, si l’objet est perçu comme un instrument scientifique, il peut stresser l’usager malgré une simplicité d’usage objective.
Le propos n’est donc pas d’oublier les apports de l’ergonomie, mais d’y faire appel comme un des instruments parmi d’autres pour répondre à une question plus large : comment redonner un statut aux objets qui nous lient au monde numérique, leur donner des scénarios d’usage, des langages et des typologies qui résonnent dans notre contexte culturel et social. Les études de perception laissent penser que des objets qui osent s’affranchir d’une rigueur minimaliste et ergonomique absolue pour renouer avec un usage et un langage visuel stimulant contribueront à réduire cette fracture numérique.Ils ne seront ainsi plus le reflet d’une condition précaire, mais auront leur pertinence et leur attrait.
Osons ainsi l’analogie avec l’univers horloger : on n’achète pas une Swatch parce qu’on est trop pauvre pour s’acheter une Oméga. La Swatch offre certes aux clients qui ont des moyens réduits la possibilité de s’offrir une vraie montre suisse, mais elle possède une réelle identité qui stimule l’intérêt d’un public très large, y compris ceux qui ont les moyens de s’acheter un modèle beaucoup plus onéreux. La Swatch n’est pas perçue comme la montre du pauvre : elle existe pour elle-même. Cette analogie est essentielle dans le cadre des interfaces numériques pour une autre raison encore: On sait en effet que le dialogue et le partage avec les jeunes générations constitue l’un des moteurs essentiels des personnes âgées pour rester en contact avec les modes de fonctionnements de notre société. Des interfaces capables de stimuler l’intérêt de plusieurs générations. C’est la raison qui motive notamment l’implication, dans le cadre de ce workshop, de partenaires intéressés par une vision nouvelle des télécommandes grand public, mais aussi pour les personnes âgées.
Une revue plus large de la littérature scientifique est disponible pour les étudiants intéressés.