Après une phase de documentation sur différents sujets de la protection sociale, le groupe du studio expérimental se propose de formaliser des problématiques de travail sous une forme cartographique. Mais au fait, cartographier un objet de travail, ça sert à quoi et on s’y prend comment ?
« Toute carte, directement ou indirectement, est affaire et expression de projet«
JM Besse – Carnets du Paysage 20 « Cartographies »
Quelques exemples de processus cartographiques :
• la cartographie géographique vise à représenter l’espace dans une démarche scientifique (à partir d’informations issues d’instruments de mesure) ou artistique, (à partir d’informations issues de la perception du paysage).
• la cartographie sensible permet de montrer sur un modèle spatial des données relevant de de la subjectivité (appréciation d’un endroit) ou de la sensorialité.
• Certaines approches de la cartographie considèrent que cartographier est un processus apprenant, une expérience qui crée de fait un savoir par rapport à un espace arpenté ou ressenti.
• La cartographie systémique revient à représenter les entités qui composent un système abstrait. Cette technique de visualisation contient forcément un parti-pris.
• Ne pas confondre avec la carte mentale, carte cognitive ou carte heuristique, qui illustre plutôt le cheminement d’une pensée (liens logiques, univers sémantique, etc.)
• La cartographie de controverses est une méthode développée par Bruno Latour pour explorer des sujets complexes de nature scientifique ou technique, et mettre à jour la diversité et la divergence de points de vue qui entourent cette question. La cartographie de controverses repose sur l’identification de parties prenantes (c’est-à-dire « acteurs » au sens large : un non-humain peut être acteur) et sur la documentation la plus précise de leur positionnement dans un débat (analyse des discours, des arguments, des intérêts revendiqués etc.).
On retient donc de la cartographie :
• que c’est un modèle de représentation, un ensemble de codes visuels
• C’est une méthode d’organisation du savoir pour le rendre partageable, lui donner un certain sens.
• C’est un document de référence, c’est à dire qu’elle va être utilisée par vos groupes comme un des endroits où s’ancre le savoir.
• Elle est indissociable de son mode de production (comment on la fait, avec quel outil, combien de personnes, à partir de quel savoir …), de son mode de monstration (comment on la voit, comment on la visite …) et enfin de son usage. Certaines cartographies sont leur propre finalité (on pense à des approches très artistiques comme celle de Bureau d’Etudes), d’autres ont un usage beaucoup plus ciblé, et sont intriquées dans des processus de travail au long cours.
Cartographier n’est jamais neutre : on ne montre jamais qu’une facette de la réalité. A travers cet arpentage en vue satellitaire, le journaliste William Acker identifie les aires d’accueil de gens du voyage en France et montre leur proximité avec les sites pollués, les zones industrielles ou les complexes routiers.
Pour aller plus loin : voir la saison de Strabic sur la « Subjectivité cartographiée«
Dans le cadre du studio on se concentre sur une typologie de carte en particulier : la cartographie des acteurs, permettant d’identifier des tensions, des zones à investiguer, ou encore des zones où positionner un projet. Cette carte est une étape de travail pas une fin en soi. Il s’agit de se doter d’un outil pour la suite, évolutif.
On peut garder différents enjeux en tête :
– faire un schéma de fonctionnement, un état des lieux factuel d’un sujet complexe, nommer les parties prenantes, expliciter les sigles, et caractériser les rôles, les fonctions, les redevabilités. Notion importante de « partie prenante » (cf. Théorie acteur réseau) élargit le concept d’acteur à celui d’actant : toute entité prise dans un système, et contribuant, de loin ou de près, au maintien de ce système.
– caractériser un tissu de relations. On s’intéresse à ce qui se passe entre les parties prenantes, et nommer par quelle médiation passent ces relations (canal numérique, serviciel, humain ?) et quel impact cela produit sur les parties prenantes.
– il s’agit ensuite de montrer des tensions, des éloignements de point de vue, des conflits de revendications entre les parties prenantes. A ce stade on va s’intéresser à ce que disent les acteurs. Latour : une somme de subjectivités est nécessaire pour comprendre une question technique. NB : les controverses de Latour se concentrent sur des sujets scientifiques, on postule que la transformation de la protection sociale, dans toute sa complexité, est également un sujet technique où beaucoup de parties prenantes ne sont pas ou peu entendues.
-pour finir, la cartographie des acteurs peut permettre de montrer sur quoi vous travaillez exactement, et quelle est votre analyse de la situation. Comme on l’a dit depuis le début, ce studio vous invite à travailler votre posture de designer face à un sujet complexe multi-acteurs, mais vous travaillez aussi avec votre vécu, votre histoire, votre dynamique de groupe, votre imagination, etc. La cartographie doit permettre d’expliciter ça.
Dans un premier temps, ce travail de cartographie doit permettre de cibler le travail d’enquête : qui doit-on entendre pour creuser le sujet plus en profondeur ?