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Une histoire de la protection sociale

Une histoire de la protection sociale Posted on 22 octobre 2020Leave a comment

Une histoire de la protection sociale par Manu Bodinier d’AequitaZ

• Avant le 17e siècle, le travail n’est pas une institution. Ce qui distingue les individus entre eux est leur place dans la société chrétienne (obrare VS laborare) et non le type d’activité qu’i.elles exercent.
• La famille et le voisinage peuvent être protecteurs ou non (pas de divorce, les femmes sont confinées dans le travail domestique…) et l’espérance de vie est faible.
• Le travail est principalement paysan avec des statuts différents (fermiers, métayers…). Des corporations protègent leurs membres. Des personnes sont délaissées.
• La charité se limite à 1% des richesses. Elle est organisée autour de l’Eglise catholique par des hospices prenant soin d’une partie des orphelins, de vieillards…
• La fiscalité est souvent injuste. L’État concentre son action sur les affaires régaliennes (justice, armée, état civil…). Pas d’école. Pas de santé publique.

Au 14e siècle la peste noire ravage 1/3 de la population européenne. Le travail prend de la valeur, puisque la force productive s’est considérablement affaiblie.
• Une nouvelle idéologie du travail se met en place, le protestantisme en est un exemple.

Une distinction progressive se fait entre le travail légitime, qui vous donne une place sociale, et le travail invisible à travers l’esclavage et les fonctions domestiques reléguées aux femmes.

• Au 19e siècle, l’industrie s’est fortement développée. Des corporations professionnelles (mineurs, marins…) créent des systèmes de prévoyance en cas de décès ou de maladie grave.
• Les sociétés de secours mutuelles sont légalisées par Napoléon III dans une logique de « réconciliation » entre les classes sociales. La « mutualité libre » subsiste mais est résiduelle et surveillée par l’Etat.
• Une minorité patronale comme Gaudin ou Schneider met en place des mesures sociales (jardins, crèches, logements, dispensaires…)
• En 1905, la Mutualité compte plus de 3,5 millions de membres plutôt artisans, commerçants et employés. Une Fédération nationale puissante a été créée.

• Otto von Bismarck crée le premier système de sécurité sociale publique en Allemagne pour contrer les socialistes. «  Messieurs les démocrates joueront vainement de la flûte lorsque le peuple s’apercevra que les princes se préoccupent de leur bien-être  »
• Le système repose sur des cotisations payées par les employés et les patrons et ouvrent des droits pour l’assurance maladie, les accidents du travail et une pension de retraite
• La France suit avec la loi de 1898 qui pose le principe de la responsabilité de l’employeur sur les accidents du travail. Elle les reconnaît comme des « risques sociaux  » ce qui permet de sortir de la responsabilité pour faute individuelle.

• Lois sur l’assistance (enfants abandonnés, malades et vieillards indigents…) entre 1889 et 1905. Organisée au niveau local à partir de bureaux de bienfaisance. Publication de La solidarité de Léon Bourgeois  : «  L’individu isolé n’existe pas  ». Les hommes et les générations sont interdépendantes. Il n’y a pas de partie sans tout → mise en commun partielle des ressources pour garantir cette assistance mutuelle et faire face ensemble aux risques liés à l’origine sociale. Il se bat pour la première loi sur les retraites par capitalisation avec obligation de cotiser.

• 1928 / 30  : Lois sur les assurances sociales (retraite, maternité, invalidité, maladie) plus de dix ans après les autres pays européens. Opposition du patronat qui le voit comme un frein à la production et de la mutualité qui est attachée à sa dimension éducative et volontaire. Dimension obligatoire sous un seuil de revenu. La couverture est faible. Les assurances privées se développent.

• Les allocations familiales sont généralisées (sur la base de sur-salaires distribuées par quelques patrons) en 1932. Pendant les grèves de 1936, les cadres tiennent à se distinguer du monde ouvrier et du patronat. En parallèle, la société connait des avancées significatives sur les conditions de travail à travers les congés payés.

• William Beveridge remet un rapport inédit au Gouvernement anglais. «  A un moment révolutionnaire de l’histoire du monde, il faut être révolutionnaire et non pas faire du rapiéçage ». Il veut « libérer l’homme du besoin » mais aussi surmonter la maladie, l’ignorance, l’extrême misère et l’oisiveté.
Il recommande la mise en place d’une protection sociale :
– Universelle étant fondée sur la citoyenneté
– Unitaire dans la gestion
– Uniforme (applicable sans distinction de revenu)

• Il écrit un autre rapport en 1944 « Du travail pour tous dans une société libre » où il propose d’investir dans la demande, le contrôle de la localisation de l’industrie et la mobilité organisée du travail.

• Le Conseil National de la Résistance préconise «  un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État  »
• Pierre Laroque pilote l’adoption des ordonnances visant la création de la Sécurité Sociale pour conserver « en temps de paix la solidarité du temps de guerre ». Il veut transcender les oppositions de classe. Il travaille avec des ministres comme Alexandre Parodi et Ambroise Croizat (cette histoire est précisément racontée dans le documentaire La Sociale de Gilles Perret).
• La sécurité sociale est associée à la condition salariale. L’emploi ouvre des droits sociaux aux travailleurs puis aux « ayants-droits » (femmes et enfants). Le financement exclut l’impôt. La gestion est confiée aux syndicats de salariés et d’employeurs (« démocratie sociale ») avec tutelle de l’État.

• Malgré l’expérience commune des privations de la guerre et de l’occupation, les oppositions à la sécurité sociale sont très nombreuses :
→ la CGC défend les intérêts des cadres
→ la CGT veut maintenir un système articulé à l’emploi et aux cotisations des employeurs
→ l’Église refuse l’intégration des allocations familiales dans une caisse unique
→ les associations se défient de cet « appareil administratif » et défendent leur « esprit d’entraide désintéressé jusqu’au dévouement et à l’abnégation totale de leurs responsables » Les commerçants, artisans et professions libérales obtiennent leur propre régime d’assurance-vieillesse et maladie (futur « RSI »).
→ Les mineurs, les cheminots, les fonctionnaires et les agriculteurs défendent des « régimes spéciaux »
→ Les commerçants, artisans et professions libérales obtiennent leur propre régime d’assurance-vieillesse et maladie (futur « RSI »). Les mineurs, les cheminots, les fonctionnaires et les agriculteurs défendent des « régimes spéciaux »

Le principe d’unité est progressivement abandonné. Parallèlement, le concept de justice sociale devient un socle commun entre les pays d’après-guerre à travers la Déclaration des Droits de l’Homme.

• Entre 1960 et 1980, la France connait une augmentation très forte du chômage (un million de chômeur en 1976, deux millions de chômeurs en 1984). À partir de 1970, on met en place de nouvelles allocations ciblées financées par l’impôt.
• Face à la fin de la convertibilité du dollar en or, au ralentissement économique et à l’échec de la politique de relance mené par François Mitterrand, un tournant est pris en 1983 avec privatisations, fin du contrôle des prix, ouverture des flux de capitaux.
• Nicole Questiaux est renvoyée du Gouvernement et son projet de Sécurité sociale unifiée aussi. Il s’agit désormais de cibler des populations marginalisées (« nouveaux pauvres », « jeunes des banlieues »…).

• Le Traité de Maastricht limite drastiquement les marges de manœuvres budgétaires pour créer une monnaie commune européenne (dans un contexte de réunification allemande)
• La protection sociale est envisagée comme des « services sociaux » qui peuvent être mis en concurrence les uns avec les autres. Une métaphore des trois piliers laisse une place importante à l’épargne et la capitalisation.
• Les pays sont en concurrence (fiscale, sociale) les uns avec les autres. Les hauts-fonctionnaires s’influencent les uns les autres avec une idéologie néolibérale commune visant à améliorer la « compétitivité » des économies nationales.
• En 1993, le chômage atteint 3 millions de personnes (puis en 1995 et en 2012)Les grèves de décembre 1995 empêchent l’adoption du plan Juppé de réforme. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.
• L’Etat reprend la main par le vote des lois de financement de la Sécurité Sociale, la définition de l’ONDAM ou la nomination des directeurs des caisses. Parallèlement, il diversifie ses interlocuteurs et des délibérations limitées avec les « usagers ».

• Toutes les réformes sont présentées comme visant à « sauver le système » par la limitation des dépenses, la responsabilisation des usagers (ticket modérateur), la diversification des financements, le renforcement du lien entre cotisation et ouverture de droits…

La protection sociale telle qu’on la connait aujourd’hui se confronte à l’apparition de nouveaux risques sociaux liés aux problématiques environnementales. La qualité du « vivre ensemble » peut se questionner entre un plancher social en dessous duquel on ne veut pas descendre (pour éviter la misère, l’exclusion, la baisse de l’espérance de vie) et un plafond environnemental imposé par les limites planétaires déjà largement dépassées, pour reprendre la métaphore de la « Donut Economy » développée par l’économiste anglaise Kate Raworth.

Comprendre la budget de la sécurité sociale.

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